Alors que la presse internationale incendie Emmanuel Macron (le « canard boiteux ») pour son passage « brutal » de la réforme des retraites, certains Français n’hésitent pas à passer l’effigie du Président et de ses acolytes directement au barbecue dans des vidéos qui font le tour des réseaux sociaux. Les manifestants ont notamment investi la place de la Concorde à Paris hier soir, après que l’annonce de la sentence 49.3 par Elizabeth Borne à l’Assemblée nationale a fait le trembler le pays, en plus des tympans d’Elizabeth Borne face au mur du son d’une Marseillaise tonitruante depuis les bancs des Insoumis. Un jeudi noir pour le gouvernement, qui veut dire beaucoup quant à la confiance que lui accorde le peuple de France, alors que le second quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas encore un an.
Le fusible
La première ministre n’est pas dupe : sa mission trouvait hier sa raison d’être. Elle reconnaissait son rôle de « fusible » qui fondra pour préserver l’Elysée du tonnerre populaire. « Je ne suis pas celui qui risque son poste », rappelait justement le Président hier en conseil des ministres, tout juste avant l’assaut final de la cheffe du gouvernement à l’Assemblée nationale. C’est bien elle qui, dans la Constitution, est responsable devant le Parlement, elle qui risque sa place à Matignon alors que l’hémicycle s’apprête à voter presque autant de motions de censure qu’il existe de partis d’opposition ; elle qui sait enfin que ce centième usage de l’article 49.3 de la Cinquième République pourrait bien être le premier à aboutir à la chute d’un gouvernement. Mais souhaite-t-elle réellement que les choses se passent différemment ?
Alors qu’elle sortait à peine de la fosse aux lions, Elizabeth Borne laissait échapper ses larmes devant les journaliste du Monde et de L’Opinion. Il n’y a pas un an encore depuis sa première intention de démissionner, tout juste après les résultats des élections législatives, le 21 juin dernier. Le Président fraîchement réélu par 38,5% des inscrits lui avait alors refusé le départ. Bien qu’aucun Républicain n’ait signé la motion « transpartisane » du vétéran de l’Assemblée, le député centriste Charles de Courson, rien n’est encore joué pour la Première ministre qui pourrait enfin voir son souhait de juin dernier se réaliser. Pour le moment c’est son directeur de cabinet qui est sur le départ affirme le journal Le Point, officiellement pour « raisons personnelles ».
Un acte tant légal qu’illégitime aux yeux des Français
C’est le sentiment le mieux partagé en France, puisque 82% des Français désapprouvent l’usage de l’article constitutionnel. L’argument est pourtant répandu sur les médias, où l’on entend les défenseurs de la mesure invoquer parfois la constitutionnalité d’une telle démarche pour faire approuver la réforme. Mais l’introduction d’une telle mesure par le général de Gaulle dans la Constitution de 1958 n’en fait pas pour autant un outil comme les autres. Quelle exception, quand celle-ci devient la règle ? A titre de comparaison, que serait un état d’urgence permanent, ou une justice où la grâce présidentielle deviendrait systématique ? C’est l’inversion de l’esprit des lois que les parlementaires et les Français ont du mal à accepter. Sur la demande du Président, le gouvernement Borne ne s’affranchit pas de la norme ; il semble plutôt s’éloigner des conditions qui la rendent acceptable.
Le résultat est sur la place de la Concorde, sur les murs de la mairie de Lyon ou sur le boulevard de la Liberté à Rennes. C’est une muraille de CRS rarement égalée qui accueillait les manifestants à Paris, symbole de la séparation qui se creuse entre l’exécutif et le peuple qui le hue par vagues répétées depuis les manifestations de Gilets jaunes jusqu’hier, et qui ne s’arrêtera vraisemblablement pas du fait des centaines d’arrestations lors de cette seule soirée du 16 mars.
On ne sait toujours pas, en attendant la journée décisive du 20 mars prochain, si la Première ministre pourra se maintenir plus longtemps en poste qu’Edith Cresson en 1992, première et dernière femme locataire de Matignon avant mai dernier. Après une tournée d’Afrique controversée, Emmanuel Macron rentre quant à lui dans une France qui ne l’approuve plus, avec une côte de popularité en berne et des médias étrangers circonspects.