Prétendument démythifié par tous les grands médias nationaux, le lien entre la réforme des retraites et l’Union européenne se révèle pourtant aisément, pour peu qu’on lise entre les lignes. Récit d’une nouvelle perte de souveraineté, à la française.
Un référendum qui a mal tourné
Au commencement était le Traité de Fondation de l’Union Européenne. Ce TFUE que les Français ont refusé lors du référendum de 2005, le président Nicolas Sarkozy, l’a finalement en grande partie ratifié en 2007, en acceptant le Traité de Lisbonne.
Si Nicolas Sarkozy contournait l’expression du peuple français, il n’en va pas de même pour ce que contient le TFUE, clef de voûte de l’emprise de la Commission européenne sur la France.
Pour comprendre comment l’Union Européenne impose la réforme des retraites à la France, il faut se rendre
à l’article 121 du TFUE dans lequel sont instaurées des « Grandes Orientations des Politiques Économiques ».
Ces grandes orientations sont directement pilotées par la Commission européenne, qui cherche à faire appliquer des réformes économiques et sociales à chaque État européen en vue d’une homogénéisation des systèmes. C’est dans ce cadre des « GOPE » qu’on retrouve la réforme des retraites qui devait être mise en place pour les années 2019 et 2020. Celle-ci est bien demandée par l’UE à la France pour assurer une « harmonisation » des retraites au sein des pays-membres.
Si l’on en reste là, les États membres de l’UE ne reçoivent que des « recommandations », qu’ils sont libres d’appliquer ou non. Ils conservent ainsi leur souveraineté budgétaire et des marges de manœuvre. Mais alors, pourquoi le président Emmanuel Macron se presse-t-il tant au sujet de cette réforme des retraites, tandis que l’opinion publique y est majoritairement défavorable ?
En fait, tout se corse avec la signature en 2012 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Celui-ci :« vise à contraindre les États membres de l’UE, et prioritairement ceux de la zone euro, à financer leurs dépenses par leurs recettes et donc à limiter le recours à l’emprunt. Plus communément appelé « pacte budgétaire » européen, il est signé le 2 mars 2012 par 25 États membres, avant son entrée en vigueur le 1er janvier 2013 ».
Au sein de ce traité, on retrouve deux volets : le « two pack » et le « six pack ».
Le «
two pack », d’abord, impose aux États membres de transmettre les projections de budget de l’année suivante avant le 15 octobre. La Commission européenne va alors évaluer la feuille de route donnée par l’État et rendre un avis. Pour tout dépassement de budget, la Commission européenne renvoie vers les GOPE pour faire des économies
[1].
Mieux encore, il y a le « six pack ». Celui-ci donne la possibilité pour la Commission européenne de corriger la feuille de route budgétaire des États membres, qui doivent alors appliquer un « plan d’action correctif ». Tout État qui ne respecte pas les corrections peut recevoir une amende de 0,2 % de son PIB. À titre d’exemple, ça aurait pu coûter en France 4,4 milliards d’euros en 2019.
Dès lors, la France peut être amendée pour ne pas avoir appliqué ces « GOPE » dont la réforme des retraites fait partie. Les recommandations deviennent tout de suite plus dissuasives et invite les États membres à réfléchir avant de ne pas appliquer les corrections de la Commission. On comprend ce que peut coûter à la France de ne pas lancer sa réforme des retraites.
Le plan de relance : victoire pour Macron, défaite pour la souveraineté
Adopté en juillet 2020, après quatre mois de crise du Covid-19,
le plan de relance européen avait été présenté comme la victoire d’une Europe unie, et de la France. Et pour cause, ses deux moteurs, qui avaient bataillé des semaines durant pour convaincre les États « frugaux », n’étaient autres qu’Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen.
750 milliards d’euros, ou 806,9 milliards à prix constants. Cette somme colossale, débloquée en emprunts par l’Union européenne, servait deux objectifs rapprochés dans un contexte de forte crise économique : atténuer les effets des grandes dépenses investies durant la pandémie, et préparer la double transition numérique et écologique du XXIe siècle européen.
Mais évidemment, les dizaines de milliards débloqués pour les États membres n’allaient pas tomber dans leur poche si aisément. Comme lorsque le FMI distribue des fonds à un pays en crise, les Vingt-Sept ont dû présenter un « PNRR », un Plan National pour la Reprise et la Résilience. Plus concrètement, ils devaient justifier le bon usage de l’aide et la bonne tenue de leurs comptes publics pour la durée du plan, soit la période 2021-2027. Le plan devait alors se conformer en partie aux critères européens. Comme le rappelait la Commission européenne, les États : « doivent fournir une explication détaillée de la manière dont les recommandations par pays sont prises en compte ». Une « bonne note » dans le respect de ces « recommandations » était la condition sine qua non à l’envoi des premiers versements.
Or, c’est là que le miracle se produit. De façon tout à fait étrange, parmi les recommandations de la Commission se trouvait…une réforme des retraites. Cela même, alors qu’Emmanuel Macron avait dû interrompre la sienne à cause des confinements à répétition. Ainsi, le
PNRR de la France contiendra bien sûr cette clause « recommandée » par Bruxelles : «
ainsi, entre autres, les réformes engagées amélioreront l’efficacité de la politique du logement, du marché du travail et de l’assurance-chômage, et, lorsque les conditions le permettront, du régime des retraites ». Plus loin, il est aussi écrit : «
dans ce contexte, il reste nécessaire de conduire une réforme du système de retraites en France ». La réforme des retraites, déjà pensée avant la crise du Covid-19, mais repensée depuis (notamment sur le repoussement de l’âge légal de départ) est ainsi soit motivée, soit justifiée par Bruxelles.
Quand l’opposition combat l’absurde
Pourtant, c’est seulement si on se penche plus avant sur la réforme que l’on comprend mieux sa totale absurdité. Une « harmonisation » des systèmes de retraites européens, en référence à l’argument souvent brandi de la majorité, est certes un pas de plus vers le fédéralisme, mais aussi un non-sens économique complet.
En effet, il semble que seuls deux paramètres sont aujourd’hui pris en compte dans la réforme : l’âge légal, et le montant des retraites. Or, d’autres points pourtant essentiel ne sont même pas évoqués, comme celui de la natalité. Alors que le nombre d’enfants par femme baisse chaque année en France, c’est l’immigration seule qui permet de limiter la casse aujourd’hui. Sans politique nataliste, Emmanuel Macron condamne ainsi la France à accueillir toujours autant d’immigrés chaque année pour compenser son futur déficit d’actifs.
De même, la question de la croissance ou du chômage n’est même pas discutée, alors que ce sont bien les cotisations des actifs qui finance les retraites aujourd’hui faramineuses des « boomers ». La réforme paraît ainsi n’être rien d’autre qu’un écran de fumée servant à satisfaire l’électorat âgé de Renaissance, tout en « ubérisant » la condition du salarié. Or, compter sur l’immigration largement plus inactive que les Français dans le but de financer les retraites paraît a minima audacieux, sinon complètement inconséquent.
L’opposition, elle, n’est pas non plus sans reproches. Alors qu’elle propose une contre-réforme tout aussi absurde, son aile droite –avec Marine Le Pen- a choisi de boycotter la rue tandis que son aile gauche manifeste, mais au mauvais endroit. En effet, alors que plusieurs centaines de milliers de manifestants se sont réunis dans les villes françaises, on n’en décompte malheureusement pas un à Bruxelles.
[1] Charles-Henri Gallois,
Les illusion économiques de l’union européenne, éditions Fauve, 2019