Le monde des lettres françaises pleure la mort prématurée d’un romancier antimoderne, nostalgique d’une France généreuse où la douceur de vivre n’était pas un vain mot. Benoît Duteurtre avait redonné de fort belle façon leurs lettres de noblesse aux trains, aux vaches, à l’opérette et aux plages normandes.
Benoît Duteurtre appartenait à la confrérie littéraire de la gare Saint-Lazare, entendez-là celle des écrivains normands usagers du réseau ferroviaire se déployant vers Cherbourg et le Havre. On pense à l’évocation qu’en fait Michel Houellebecq dans Extension du domaine de la lutte, au manteau d’officier d’Olivier Frébourg sautant dans un train pour regagner Dieppe mais aussi aux souvenirs rouennais de Dominique Noguez. Benoît Duteurtre qui est mort soudainement le 16 juillet, d’une crise cardiaque, dans sa maison des Vosges, située non loin de Gérardmer, avait écrit une Nostalgie des buffets de gare (Payot, 2015). Il y notait avec justesse que « la ligne de Paris-Saint-Lazare au Havre, une des plus anciennes et des plus fréquentées du réseau, a subi, comme la plupart des liaisons régionales, une continuelle dégradation depuis le dernier âge d’or des années 1970-1980 ».
Il faut dire que depuis son roman Tout doit disparaître (Gallimard, 1992), Benoît Duteurtre avait entrepris une vaste entreprise de démolition de la modernité française. Arrière-petit-fils du président René Coty, il vouait un culte à la France de Charles de Gaulle à qui il avait consacré l’amusant Retour du général (Fayard, 2010). C’est avec Le Voyage en France (Gallimard, Prix Médicis 2001) que Benoît Duteurtre s’était fait connaître du grand public, avec l’histoire loufoque d’un jeune Américain débarquant au Havre et découvrant l’ampleur du fossé entre sa France rêvée et celle qu’il découvrait.
De la plage d’Étretat aux montagnes vosgiennes
Dans Le Voyage en France, Benoît Duteurtre ne manque pas de rappeler que « depuis l’essor du chemin de fer, la Normandie était devenue le jardin de la capital ». L’enfant de Sainte-Adresse avait chanté de merveilleuse façon la plage d’Étretat dans Les Pieds dans l’eau (Gallimard, 2008) et L’Été 76 (Gallimard, 2011). Mais il était devenu un vrai Parisien, habitant à l’ombre de la cathédrale Notre-Dame, chroniqueur sur France Musique (« Étonnez-moi Benoît »), courant les opéras, promenant sa silhouette éternellement adolescente dans les cocktails littéraires et gratifiant Le Figaro, Marianne ou L’Atelier du roman de chroniques toujours savoureuses. Il avait trouvé dans sa maison des Vosges un dérivatif à son goût pour les plages normandes, ce qui avait valu au lecteur Chemins de fer (Fayard, 2006) où il comptait les aventures d’une directrice d’agence de communication parisienne possédant une propriété au pied des sommets lorrains.
Je garderai de Benoît Duteurtre ce souvenir d’un étrange samedi de novembre 2018 où les rues du XVIe arrondissement brûlaient à l’occasion d’une des premières mobilisations des Gilets jaunes. Des affrontements se déroulaient avenue Foch. Des automobiles étaient en feu place Victor-Hugo. L’ambiance était crépusculaire. Nous nous trouvions au salon du livre organisé dans les salons de la mairie d’arrondissement pour signer nos livres. Il avait eu quelques mots gentils sur le mien. Je lui confiait avoir récemment terminé la lecture de son premier roman, Sommeil perdu (Grasset, 1985), clap de fin d’une jeunesse trépidante dans le Paris chiraco-mitterrandien. Il venait de signer En marche !, un conte politique irrévérencieux. Au milieu des ruines, nous avions encore du mal à distinguer une lueur d’espoir.