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Le lourd secret d’un résistant

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Il s’appelle Edmond Réveil. Il est originaire de Meymac, en Corrèze, une commune de 2 500 habitants. En 1944, Edmond a 18 ans. Comme de nombreux jeunes corréziens, il a rejoint les FTP (Francs-tireurs et partisans). Nom de code « Papillon ». Comme beaucoup d’enfants de la résistance, son rôle consiste à apporter à vélo des messages au maquis. Beaucoup de jeunes dans son entourage sont entrés dans la résistance pour échapper au STO. Edmond l’a fait par conviction, pour libérer son pays de l’occupation. 
 
Le 6 juin 1944, à l’annonce du Débarquement en Normandie, on demande aux résistants de ralentir l’avancée des divisions allemandes qui remontent vers le front. Edmond prend part à des actes de sabotage et des embuscades, notamment sur la nationale 89 qui relie Clermont-Ferrand à Tulle et qui jouxte la commune de Meymac, près du Plateau de Millevaches, un endroit sauvage et reculé de la Corrèze.
 
Le 8 juin, quelque 2 000 résistants se réunissent dans les campagnes autour de la ville de Tulles. Trois attaques ont lieu contre des positions tenues par les Allemands dans la ville. Edmond est engagé dans la première, qui se déroule à l’école normale de jeunes filles. « On a mis le feu à l’école qui servait de cantonnement aux Allemands et ils sont sortis », témoigne-t-il au Parisien. Une Française est sortie la première, elle est faite prisonnière : elle appartient à la Gestapo.
L’opération est un succès. On compte une cinquantaine de soldats tombés côté allemand. Côté résistant, on déplore la mort de trente combattants. Les FTP font des prisonniers. Tulle est libérée en fin de journée. Le soir, on fête la victoire dans les rues de la ville.
 
La « Das Reich » reprend Tulle le lendemain de sa libération
 
Les réjouissances vont très rapidement tourner court. Car le 9 juin, les premiers éléments de reconnaissance de la tristement célèbre Division « Das Reich » se présentent dans les faubourgs de Tulles. Depuis le 6 juin et l’annonce du débarquement, « Das Reich » a commencé à remonter depuis ses cantonnements du camp de Souge, près de Bordeaux, et de Montauban en direction de la Normandie.
« Das Reich », c’est la deuxième division de la Waffen SS. Elle vient de passer trois ans sur le front de l’Est avant d’être postée en France après l’échec de l’opération Citadelle à Koursk, qui fut la plus grande bataille de chars de l’histoire. Le général Patton dont la Ve armée se retrouvera face à la « Das Reich » à Mortain les qualifiera de « bêtes sauvages » et se plaindra que ses hommes, en raison de leur manque d’expérience, meurent par dizaines face à ces soldats aguerris qui n’ont plus rien à perdre.
 
Le 1er régiment de la division « Das Reich », baptisé « Der Führer », a déjà laissé une longue traînée de sang sur sa route. Il faut dire que les résistants n’ont pas été en reste. Comme l’explique Edmond, ils tendaient des embuscades mortelles. Les Allemands avaient fini par surnommer la Corrèze « la petite Russie ». En représailles aux attaques à Tulle, Heinz Lammerding, le général en chef de la « Das Reich » ordonne des pendaisons. Une centaine d’habitants sont arrêtés au hasard et pendus aux réverbères de la ville et aux frontons des maisons.
 
La Corrèze, « petite Russie »
 
Dans le même temps, les résistants ont aussi libéré Guéret, chef-lieu de la Creuse. Là aussi, le 9 juin, la 1re compagnie du 1er bataillon du régiment « Der Führer » reprend la ville aux résistants. Et là, il va se passer un événement incroyable. Leur chef, le colonel Helmut Kempf, l’un des plus célèbres officiers de la division, se fait bêtement capturer par la Résistance alors qu’il s’est avancé, seul au volant de sa voiture, sur une route de la Creuse.
 
À Limoge, où s’est établi le QG de la division, le commandant de la « Der Führer », Sylvester Stadler, tente toutes les médiations possibles avec la résistance pour récupérer Kempf. Il propose de libérer des résistants de Limoges. Il offre même de l’argent. Du jamais vu dans les pratiques de la SS. Toutes ces tentatives échouent. Kempf est exécuté le 10 au matin après s’être entretenu avec Georges Guingouin, le célèbre résistant du Limousin. Kempf parle parfaitement le français, mais s’obstine à répondre en allemand à Guinguoin. Le dialogue tourne court. Son corps est enterré en même temps que celui d’un autre soldat allemand exécuté le même jour. Il ne sera jamais retrouvé. 
 
Au même moment, à l’ouest de Limoges, une autre compagnie de la « Das Reich », la 3e, dirigée par Adolf Diekmann, atteint la ville de Saint-Junien le 9 dans la soirée qu’elle reprend également aux résistants. La 3e compagnie monte aussitôt une opération qui va aboutir au massacre d’Oradour-sur-Glane dans l’après-midi du 10 juin. C’est le pire massacre commis en France à cette époque, avec 643 victimes, dont certains brûlés vifs dans l’église. 
 
Le mystère Oradour
 
Il plane encore un doute sur les raisons de ce massacre dans ce village en particulier. Le climat insurrectionnel qui anime le Limousin est propice aux exécutions suivies de représailles. La Division « Das Reich » vient de passer trois ans sur le front de l’Est, où les massacres étaient quotidiens. En appelant « petite Russie » le Limousin, elle donne la couleur.
Elle ambitionne de « repousser les Américains à la mer », mais en chemin, elle n’est pas là pour faire de la figuration. D’autant que les résistants harcèlent les Waffen SS. La disparition de Kempf est une hypothèse. Une vengeance de la Milice locale également, car des miliciens participent à la préparation de l’opération, notamment l’ancien cagoulard Jean Filiol. Le 11 juin, au lendemain d’Oradour, la « Das Reich » aura quitté le Limousin. Elle sera décimée en Normandie. Le 22 août, le département de la Corrèze sera libéré. 
 
Edmond, lui, continue le combat. Il se battra en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. Après 1945, il devient cheminot, comme son père. Il ne parle plus de sa participation au maquis et des événements de juin 1944. Il compare la chape de plomb sur cet épisode au mutisme de ceux de 14, qui refusaient d’évoquer l’horreur des tranchées. Mais il y a aussi la loi du maquis. Il garde tout enfoui en lui, mais il en a gros sur le cœur. 
 
Les remords d’Edmond, résistant
 
à l’âge de 30 ans, Edmond part s’installer dans l’Essonne. En 1960, de premières exhumations de corps de soldats allemands ont lieu à Meymac, au hameau « Le Vert ». Les corps de onze soldats sont déterrés, mais personne n’en parle. À Meymac, seuls les anciens savent. L’omerta du maquis fonctionne toujours. Edmond n’est même pas mis au courant. Il rentre en Corrèze en 1970, où il devient membre de l’association nationale des anciens combattants en Corrèze, l’ANAC. En 2019, il participe à l’assemblée générale de son association et demande à prendre la parole. Il est alors le dernier survivant des maquisards qui ont attaqué Tulle le 8 juin 1944. Et là, il déballe tout. 
 
Il raconte que 55 soldats ont été arrêtés après l’attaque de l’école normale et faits prisonniers. L’un d’entre eux est aussitôt fusillé, car il tente de s’échapper. Les autres vont devoir marcher soixante kilomètres à travers la forêt, sous la surveillance du groupe de résistants d’Edmond. Aucune des unités de résistants que la colonne rencontre sur leur passage ne veut prendre en charge ces prisonniers, qui sont bien trop nombreux et donc repérables. Il y a parmi eux des soldats tchèques et polonais, qui sont confiés au groupe de résistants de la main-d’œuvre immigrée. Il en reste donc 47. Il faut les nourrir, les surveiller, même lorsqu’ils font leurs besoins. Cela mobilise des maquisards… 
 
Un matin, l’ordre tombe de les exécuter. Il vient d’en haut. Le chef de la section FTP d’Edmond est alsacien. Il s’entretient en allemand avec chacun des prisonniers, l’un après l’autre. Le chef demande ensuite qui est volontaire pour accomplir l’exécution. Edmond affirme qu’il a refusé.
 
Exécutions sommaires
 
Chaque volontaire va alors tuer un soldat prisonnier. Au préalable, on a demandé aux Allemands de creuser le trou dans lequel ils seront enterrés. Il sera recouvert par la suite de chaux vive. Il existe en réalité deux fosses. La première a été découverte dans les années 60 et contenait les 11 corps de soldats. Les nouvelles fouilles auront pour but de retrouver la seconde, avec 36 corps.
 
Edmond qualifie cet acte de « faute de guerre ». « On ne tue pas les prisonniers, dit-il. Nous nous sommes comportés comme des criminels de guerre ». En parlant, il a voulu se libérer d’un poids. Il l’a fait aussi pour rendre les corps aux familles allemandes. Il était le dernier. Tant que ses camarades étaient en vie, il s’était tu, car il aurait eu l’impression de trahir. 
 
On peut s’interroger. Ce massacre était-il la vengeance des résistants pour Tulles et Oradour, puisque ces soldats sont exécutés le 12 juin ? Meymac est à 50 kilomètres de Tulles. Difficile de savoir si les résistants du groupe d’Edmond étaient au courant de ce qui s’était passé après leur départ de Tulles. En revanche, dans les jours qui précédèrent le 12 juin et l’exécution des prisonniers allemands, 47 résistants avaient été tués à Ussel, la ville voisine de Meymac. Représailles ? Difficile encore de le prouver…
 
Les fouilles, qui ont donc commencé depuis hier à Meymac pour retrouver ces soldats fusillés, permettront peut-être d’en savoir plus. L’opération est menée sous l’autorité de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Elle va durer jusqu’au 27 août. Dans cette tâche, les Français sont accompagnés par le VDK (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge), l’organisme allemand qui gère la sépulture de soldats tombés durant les conflits mondiaux dans l’Hexagone.
 
Références :
– « On leur a fait creuser leur propre tombe » : les atroces révélations d’un résistant corrézien sur l’exécution de soldats allemands. Article de Franck Lagier dans Le Parisien, 16 mai 2023
– « Code source » : podcast le Parisien
– Ouvrage : « Les mystères d’Oradour », Éd. Michel Lafont, 2014. 

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