AccueilGéopolitiquePrésidentielles Turques : pourquoi Erdogan a « déjoué les sondages »

Présidentielles Turques : pourquoi Erdogan a « déjoué les sondages »

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L’élection met la Turquie « devant un choix de civilisation » affirme l’essayiste Nicolas Baverez dans une chronique au Figaro. Il y aurait, selon son analyse, d’un côté un avenir autoritaire « inspiré de la Russie de Vladimir Poutine », en cas de réélection d’Erdogan et de l’autre « le retour à la démocratie ». Cette dichotomie clôt le débat et empêche de bien comprendre ce qui animait les électeurs turcs dimanche 14 mai. Parmi eux, six millions de jeunes votaient pour la première fois. Les deux scrutins, présidentiel et législatif, on réunit soixante-quatre millions de personnes, soit 89% des électeurs. En France, une telle mobilisation relèverait du miracle ! Elle montre bien la conscience de l’enjeu : dans un monde devenu multipolaire, comment se positionnera la Turquie de demain ?   
 
Vers un troisième mandat ?  
 
Déjouant les pronostics, le président islamo-conservateur sortant, Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, a reçu 49,51 % des suffrages. Sauf surprise au second tour, le 28 mai prochain, il devrait être élu pour son troisième mandat. Son principal opposant Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans, plus modéré et démocrate, recueille 44,88 % des voix. Sa coalition disparate rassemble six formations allant du centre-gauche aux islamistes en passant par les libéraux et les nationalistes modérés. Le point de bascule, ce sont les 5,1 % en faveur de l’outsider nationaliste Sinan Ogan qui tient une ligne plus laïque, mais proche de celle d’Erdogan.  
 
Sa campagne électorale, Kiliçdaroglu la doit à deux caisses de résonance : les réseaux sociaux, prisés par les jeunes urbains, et le soutien médiatique occidentale, qui voit dans le septuagénaire son cheval de bataille démocratique. Mais c’est oublier la composition de la population turque, à 60% rurale, peu concernée par les revendications urbaines et désireuse de stabilité.   
 
L’électorat d’Erdogan est fier d’appartenir à « une nouvelle puissance qui compte »  
 
Avec un nouveau parlement toujours acquis à sa cause, Recep Tayyip Erdogan assure son avenir. « Il a fait mentir les sondages », commente Renaud Girard, chroniqueur au service étranger au Figaro, et auteur de Retour à Peshawar (Grasset). « Comment expliquer ce succès de Erdogan alors que l’économie est si mauvaise, interroge le reporter, et que beaucoup se sont plaints de la mauvaise gestion des conséquences du tremblement de terre (50 000 morts, NDLR) par le gouvernement Erdogan ? Comment peut-on expliquer malgré cela le bon score d’Erdogan ? Je pense qu’il y a un sentiment de fierté de la part de la population turque, pour le fait qu’Erdogan a réussi à faire de la Turquie une nouvelle puissance qui compte et qui est courtisée par les grands de ce monde ; courtisée par l’Amérique, la Russie, l’Union européenne… L’électorat est sensible à cela. » Le contexte économique est en effet très mauvais : l’inflation record, due au maintien artificiel des taux d’intérêt bas, pousse une large partie de la population dans la précarité. Mais ce bilan catastrophique n’a pas d’effet dans les urnes. « Nous nous trompons si nous croyons que les êtres humains sont des êtres économiques. Les hommes sont des êtres culturels », conclut Renaud Girard.  
 
« Pantouranisme » et expansionnisme turc  
 
À long court terme, la réélection de Recep Tayyip Erdogan pourrait voir se confirmer trois tendances. La suppression du risque d’autonomisme kurde, le pantouranisme, soit extension vers les peuples de langue turque, et l’expansionnisme maritime en méditerranée. Le voisin syrien, l’allié azerbaïdjanais, l’adversaire grec : les pays limitrophes de la Turquie sont les premiers concernés par le résultat des élections du 28 mai prochain. Mais comme le rappelle Renaud Girard, « la Turquie peut envoyer paître la France et l’Union Européenne, mais pas l’Amérique ». La première puissance mondiale a encore suffisamment d’arguments pour contraindre son turbulent allié non-aligné pour faire libérer un pasteur anti-régime ou interdire l’accès des banques turques aux fortunes russes. Idem pour le pétrole, qui transitait encore récemment par les cuves turques vers l’Europe.
 
Le système Erdogan : « la stratégie du pivot »  
 
Au cœur de la stratégie du président turc, plusieurs dynamiques sont à l’œuvre. Sur la scène internationale, Ankara utilise « la stratégie du pivot ». Attaché de recherche à l’institut de stratégie comparée, Tancrède Josseran est un spécialiste de la Turquie. Il explique qu’Erdogan agit à l’aune de ses intérêts, « dans un monde qu’il pense post-occidental. » Comme d’autres puissances dans le monde, Erdogan cherche à jouer sa propre partition. « Ce qu’il est en train de faire, c’est une stratégie du pivot. C’est-à-dire qu’il est de l’Alliance atlantique, sans être dans l’Alliance atlantique. », décrypte le chercheur. La Turquie conserve et assume une « géopolitique de l’entre-deux », qui lui permet de garder des liens avec la Russie et la Chine.   
 
Travailler à l’autonomie turque, c’est assurer la stabilité d’un pays chahuté par l’histoire récente. Pour Tancrède Josseran, cette élection est donc « un référendum » qui s’est joué autour de cette proposition : « pour ou contre la stabilité ».  

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