Le groupe Madrigall, détenu en quasi-totalité par la famille Gallimard et présidé par Antoine Gallimard, 77 ans, a décidé de se retirer du réseau social X, anciennement Tweeter, appartenant au milliardaire Elon Musk, proche de Donald Trump. Outre la célèbre NRF, les éditions Gallimard, le groupe possède notamment Denoël, le Mercure de France, la Table ronde, Flammarion, les éditions de Minuit, Casterman ou encore P.O.L. Il constitue ainsi le premier groupe éditorial français et rayonne à l’international.
Rater Proust et Céline
« Rien d’étonnant, nous explique un critique littéraire parisien, les deux filles d’Antoine Gallimard, Charlotte et Laure, que leur père a nommé directrices générales du groupe Madrigall à ses côtés en 2023, sont acquise au wokisme. » La question est désormais de savoir si Gallimard ne commet pas ici une nouvelle erreur stratégique comme ce fut le cas depuis la création de la maison d’édition en 1911 par André Gide, Jean Schlumberger et Gaston Gallimard, grand-père d’Antoine.
En 1913, sur les conseils d’André Gide, Gallimard refuse d’éditer Du côté de chez Swann, premier volume d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Le livre sera publié à compte d’auteur chez un concurrent, Grasset. Prenant conscience de cette bourde éditoriale, Gallimard publiera la suite, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, en 1919, livre qui obtiendra le prix Goncourt. De la même façon, c’est Denoël que parait le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline en 1932. Il faudra attendre 1951 pour que Céline rejoigne Gallimard et y trouve sa place grâce au travail éditorial de Roger Nimier.
Plutôt Drieu que Paulhan
La grande faute politique de Gaston Gallimard fut de ne pas saborder sa maison en 1940 et d’accepter le contrôle de la censure allemande. Le résistant Jean Paulhan fut alors remplacé jusqu’en 1943 à la direction de la Nouvelle Revue française par le collaborationniste Pierre Drieu La Rochelle. La revue phare de Gallimard sera interdite en 1944 pour collaborationnisme et ne reparaitra qu’en 1953 sous le titre de Nouvelle Nouvelle Revue française.
On rappellera pour mémoire les élans staliniens d’un auteur phare de la maison Gallimard, Louis Aragon, membre du Comité central du PCF de 1950 à sa mort en 1982, se taisant de longues années sur les crimes commis en Union soviétique. Plus proche de nous, Antoine Gallimard assumera longtemps d’être l’éditeur de Michel Déon (1919-2016), journaliste à l’Action française pétainiste de Charles Maurras de 1940 à 1944. Sa fille Alice dirige aujourd’hui la Table ronde, filiale de Gallimard qui fut longtemps propriété de la famille Bolloré. Autre gloire de la maison, Michel Mohrt (1914-2011), lui aussi passé par la presse de Vichy et thuriféraire de Jean Bassompierre, officier de la division SS Charlemagne fusillé à la Libération.
Sacrifier Millet
On pourrait aussi citer l’accueil chaleureux que reçurent chez Gallimard Gabriel Matzneff, aujourd’hui voué aux gémonies pour ses relations intimes avec des adolescents, contée dans ses livres et comme tels connues de tous. Nulle question ici de critiquer littérairement ces choix et la qualité des ouvrages de ces auteurs. Mais il est bien question ici de circonvolutions politiques complexes, ayant permis la réussite financière d’une entreprise aujourd’hui florissante.
« Le point de bascule woke de Gallimard, c’est la mise à l’écart du génial Richard Millet, écrivain et éditeur écarté du comité de la maison en 2012 pour avoir critiqué le multiculturalisme l’immigration massive que subit l’Europe », explique notre critique littéraire. Le départ de Gallimard du réseau X n’est donc que la continuation de l’affaire Millet par d’autres moyens. Pa sûr qu’à terme le groupe Madrigall ne s’en morde pas les doigts.