Certains attribuent cette avancée des troupes russes à l’interruption du partage du renseignements entre Américains et Ukrainiens. D’autres y voient pour partie la résultante d’une audacieuse ruse de guerre des soldats russes qui ont emprunté à pied 16 kilomètres du pipeline de gaz vide entre Russie et Europe via l’Ukraine pour déboucher par surprise sur les arrières de leurs adversaires. On pourrait également y ajouter la coupure des renforts et de la logistique depuis deux semaines environ de la garnison ukrainienne.
Toujours est-il qu’au matin du 10 mars et après deux jours d’offensive, les Ukrainiens ont été chassés du nord de la poche de Soudja et ne contrôlent plus qu’à peine 200 km2 de territoire russe. Ils en tenaient 1200 km2 au plus fort de leur percée en août dernier. Le saillant de Soudja, véritable épine dans le pied de Poutine et des Russes, était fragile depuis un petit moment. Les lignes de communication ces derniers jours étaient devenues exposées au feu des Russes. L’État-major ukrainien qui avait constamment alimenté le saillant en troupes fraîches et de bonne qualité avait brusquement changé son fusil d’épaule, les envoyant en renfort dans le Donbass, sur les fronts de Pokrovsk, Toretsk et au Nord dans la vallée de l’Oskol où l’armée ukrainienne retrouve timidement quelques couleurs.
Les Russes l’ont compris assez vite et ont su saisir l’opportunité pour attaquer dans trois directions différentes à la fois, en particulier depuis le district de Glushkovo et Korenovo dans lesquels les Ukrainiens avaient été incapables de se maintenir précédemment. L’infiltration via le gazoduc a été le déclencheur d’un effondrement de la résistance centralisée. Si le pipeline était vide de gaz permettant la progression à couvert des soldats russes, c’est parce que le président Zelensky avait décidé de couper cette livraison du gaz aux Européens. Le 1ᵉʳ janvier en effet, le contrat des canalisations reliant la Russie à l’Union européenne via l’Ukraine n’avait pas été renouvelé. Un tiers du gaz russe vendu à l’Europe passait par cette voie. Soudja sonnerait presque comme la revanche de NordStream, autre pipeline dont le plasticage en 2022 par un commando ukrainien, aidé sans doute par les Américains, avait coupé le lien vital entre la Russie et l’Allemagne, contribuant à plonger l’économie de cette dernière dans la crise.
Confronté à la perspective de sa destruction rapide, le groupement ukrainien a d’abord cherché à raccourcir son front pour dégager des réserves et s’est replié sur la place forte de Soudja, une ville de 5000 habitants avant la guerre où se trouve le QG de l’incursion ukrainienne en territoire russe. Pour OMERTA, nous nous étions rendus à moins de 15 kilomètres au sud-est de cette ville en novembre dernier avec une unité de dronistes russes qui, déjà, harcelait les troupes ukrainiennes qui s’y trouvaient en lançant des attaques contre les stations-services de la ville. À l’époque cependant, Soudja, en dehors du travail des dronistes, restait hors de portée des canons russes.
Cette fois-ci, la forte pression russe a viré au cauchemar pour les Ukrainiens, certains ayant dû fuir à travers la campagne, livrés aux attaques des drones, en abandonnant leur matériel lourd et des équipements de haute technologie. Ce territoire qui fut longtemps symbole de la fierté ukrainienne d’avoir arraché aux Russes un morceau de leur « mère-patrie » est brusquement devenu un immense polygone de tir de vingt kilomètres de long sur dix de large environ, un sac à feu pour l’artillerie et les drones. La garnison ukrainienne n’a à l’heure actuelle que très peu de chances de se maintenir en Russie. Elle devrait procéder bientôt à l’évacuation de son corps expéditionnaire. Ce qui a commencé en août 2024 par un « remake » de la percée des Ardennes de janvier 1945 se terminera sans doute par une manœuvre qui n’est pas sans rappeler Falaise-Chambois en août 1944. À la fin de la bataille de Normandie, certaines unités allemandes, en particulier la Hitlerjugend, s’étaient sacrifiées pour permettre au gros de la troupe d’évacuer, dans une manœuvre de replis très bien conçue qui permit aux deux tiers des troupes allemandes de retraverser la Seine et qui est encore enseignée aujourd’hui à West Point, l’académie militaire américaine. L’effondrement auquel on assiste aujourd’hui pose néanmoins la question, au regard de l’évolution du conflit, de l’intérêt de cette opération à Koursk, si ce n’est d’avoir affaibli les fronts du Donbass au profit d’un coup d’éclat qui a toujours eu l’air d’un artifice de communication. Celui-ci donnait tout de même une carte au président Volodymyr Zelensky et à son chef d’État-major Oleksander Syrsky dans de possibles négociations avec les Russes. Désormais, il ne reste plus rien. Et c’est plus affaibli encore que Volodymyr Zelensky s’en va aujourd’hui à Riyad, en Arabie saoudite, entamer des discussions avec une délégation américaine pour entrer dans la négociation d’un cessez-le-feu avec les Russes.
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