Dans une génération où les acteurs de cinéma français étaient plus souvent issus du conservatoire d’art dramatique que de l’école de la rue, Alain Delon aura su transformer un jeu d’acteur instinctif en capacité à crever l’écran jusqu’à devenir une icône internationale de la virilité française. Si rien ne le destinait en 1935, lors de sa naissance dans la banlieue sud parisienne, à tutoyer les anges, l’histoire le rattrape à la veille de ses 10 ans, le 15 octobre 1945, lorsqu’il entend claquer les balles de l’exécution chaotique à Fresnes, de Pierre Laval, président du conseil collaborationniste. Il est alors, en effet, placé dans une famille d’accueil qui n’est autre que celle du gardien de la prison.
De l’Indochine à Cinecittà
Devançant l’appel sous les drapeaux, il s’engage dans la Marine nationale à l’âge de 17 ans. Matelot turbulent, il est expédié à Saïgon durant la guerre d’Indochine où, à l’occasion d’une projection de Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, il est subjugué par Jean Gabin. Devenu noctambule dans le Saint-Germain-des-Prés de la grande époque, il rencontre Jean-Claude Brialy au Festival de Cannes 1957 et joue son premier rôle la même année dans Quand la femme s’en mêle d’Yves Allégret. Mais son premier grand rôle date de 1960 dans Plein Soleil de René Clément. C’est alors l’emballement : Rocco et ses frères de Visconti en 1961, Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil en 1963 et surtout Le Guépard de Visconti la même année.
Au plan sentimental, Alain Delon collectionne les conquêtes féminines : Romy Schneider dès 1958 et jusqu’en 1963, Francine « Nathalie » Canovas, qu’il épouse en 1964, Mireille d’Arc qui sera sa compagne de 1968 à 1983… Au plan littéraire, il en pince pour le polémiste Jean Cau, « méprisé par les bien-pensants du temps de son vivant, oublié injustement aujourd’hui » mais aussi pour Jean-Patrick Manchette, pape du néo-polar dont il adapte le roman Que d’os ! sous le titre Pour la peau d’un flic en 1981 ou encore Frédéric H. Fajardie, bernanosien rouge, dont il avait adapté Clause de style sous le titre Ne réveillez pas un flic qui dort en 1988. De quoi rendre jaloux A.D.G. !
En 1966, Alain Delon incarne Jacques Chaban-Delmas dans Paris brûle-t-il ? de René Clément, l’année suivante il est à l’affiche du Samouraï de Jean-Pierre Melville et en 1968 de La Piscine de Jacques Deray. Il enchaîne ensuite, au fil des années 1970, des films de Melville (Le Cercle rouge), de Granier-Deferre (La Race des seigneurs), de Lautner (Mort d’un pourri) mais aussi de José Giovanni (Deux hommes dans la ville, Le Gitan, Comme un boomerang).
A droite toute
Politiquement, Alain Delon s’affirmait gaulliste. Lorsque le général de Gaulle quitte le pouvoir en avril 1969, il lui écrit une lettre affirmant qu’il était « grâce à vous, fier d’être français ». En 1974 et 1981, il apporte son soutien à Valéry Giscard d’Estaing et en 1988 à Raymond Barre. En 2007, il apportera son soutien à Nicolas Sarkozy. Il n’a jamais renié son amitié pour Jean-Marie Le Pen, croisé au temps de la guerre d’Indochine, l’invitant en 1986 lorsqu’il reçoit des mains de Jack Lang la cravate de commandeur des Arts et lettres. En octobre 2013, il se félicite de la progression électorale du Front national. L’année suivante, ce grand admirateur de la Vierge Marie donne un coup de pouce à Christine Boutin pour sa campagne des élections européennes. Lors de la primaire de la droite 2016, il soutient Alain Juppé et celui-ci battu se prononce ouvertement en faveur de François Fillon dont il dit admirer « le courage, l’expérience et la volonté sans faille en toute circonstances ».
On gagnera à relire le récit littéraire que Jean-Marc Parisis a consacré à Alain Delon en 2018 sous le titre Un problème avec la beauté (Fayard). Il nous montre que l’amour des Français pour Alain Delon tient à ce qu’il leur renvoyait le reflet d’un héroïsme disparu : « Il ne jouait pas ses rôles, il les vivait. Il était acteur, la caméra l’aimait et il les emmerdait. »