Déclarations de Pachinian, beaucoup de bruit pour rien ?

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Voici plus d’un mois que les relations entre les deux républiques du Caucase se réchauffent. Au cours de différents sommets : à Washington le 4 mai, Bruxelles le 14 et Moscou le 19, les différents représentants des deux pays se sont rencontrés dans le cadre de négociations d’un accord de paix. Officiellement en guerre depuis 1992, les deux pays se sont combattus à trois reprises : entre 1992 et 1994, en 2016 et enfin en 2020. À l’origine de ces trois conflits, la question épineuse du Haut-Karabagh. Si cette déclaration a fait beaucoup de bruits, notamment dans la presse internationale, en réalité cette déclaration ne change rien dans les faits, ni concernant la position officielle de l’Arménie sur la question, ni au sujet de la situation géopolitique réelle.

Droit à l’autodétermination contre l’intangibilité des frontières 
À l’origine du conflit : la chute de l’URSS et la transformation des frontières administratives du pays en frontières internationales. Partisan de la devise : « diviser pour mieux régner », Staline avait « donné » le Haut-Karabagh, territoire historiquement arménien, à la république socialiste d’Azerbaïdjan. En 1988, au moment du délitement de l’URSS, entre les espoirs d’un changement de politique sous Gorbatchev et l’affaiblissement de l’Union soviétique, les députés du conseil du Haut-Karabakh votent le 20 février leur rattachement à la République Socialiste et Soviétique d’Arménie. De nombreuses manifestations pacifistes ont lieux à Erevan et Bakou en soutien à ce projet. L’assemblée du Conseil du Parti communiste d’Erevan envoie même une pétition à Moscou pour demander un changement des frontières, ce à quoi Gorbatchev se refuse. Face à ces mouvements de protestations en Azerbaïdjan, des milliers d’Arméniens sont massacrés à Soumgaït, ville côtière de la mer Caspienne. Sans réaction de l’armée rouge, la violence monte d’un cran. Dans les régions de Vardénis et du Syunik les Azéris sont chassés, dans la Haut-Karabagh l’insurrection contre les autorités locales s’organise. La situation aboutit à une émancipation de l’Arménie vis-à-vis de la Russie soviétique, une armée autonome est créée. La République d’Artsakh (autre nom pour le Haut-Karabagh) est créée le 2 septembre 1991. Dans le même temps, les deux ex-républiques socialistes d’Arménie et d’Azerbaïdjan prennent leur indépendance et la guérilla civile se transforme en guerre conventionnelle. Au bout de trois ans de guerre, un accord de cessez-le-feu est signé à Moscou le 16 mai 1994. La République de l’Artsakh conserve son autonomie de facto malgré une non-reconnaissance internationale et ce même de la part de l’Arménie. 

Une situation sans issues… pacifiques
Le conflit est gelé durant 25 ans jusqu’en 2020, quand l’armée azerbaidjanaise aidée par la Turquie et Israël entre sur le territoire de l’Artsakh. Au bout d’une guerre sanglante de 44 jours, la République de l’Artsakh, soutenue par l’Arménie, perd 70% de son territoire. Un nouvel accord de cessez-le-feu est signé à Moscou et l’armée russe s’installe en force d’interposition. Désormais, le Haut-Karabagh n’est plus lié à l’Arménie que par une petite route de montagne : le corridor de Latchine. La région du Syunik qui relie l’Arménie à l’Iran est dorénavant pris en étaux entre l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan et le territoire azerbaïdjanais. Pachinian cède à toutes les revendications de son homologue azéri Ilham Aliyev : cession du corridor de Latchine, création d’une route dans le Syunik (en territoire souverain arménien) pour rejoindre le Nakhitchevan et le territoire azerbaïdjanais persuadé que l’Azerbaïdjan se satisfera du Haut-Karabagh et n’entamera pas l’intégrité territoriale de l’Arménie. Se croyant habile de pouvoir jongler entre le soutien occidental et le soutien russe, le premier ministre arménien a perdu le second et n’a jamais eu le premier, le pétrole azerbaïdjanais compte vraisemblablement plus que la souffrance du peuple arménien, même pour la France « amie » de l’Arménie. 

Une situation géopolitique déjà résolue
Pour avoir le ressenti sur place, OMERTA a contacté le chef de mission Arménie de l’association humanitaire SOS Chrétiens d’Orient, Corentin Clerc. « Si cette déclaration de Pachinian a ému beaucoup de monde, elle reflète en réalité la position officielle du premier ministre, depuis la fin de la guerre de 44 jours : donner l’Artsakh à l’Azerbaïdjan en échange de la paix. » L’humanitaire de rajouter « Pachinian est naïvement persuadé que l’Azerbaïdjan et son allié turc se contenteront du Karabagh, alors que son territoire est sans-cesse violé par des incursions militaires azéris depuis le printemps 2022. Ainsi, à l’heure actuelle, environ 150 km2 de territoire de la République d’Arménie sont occupés par l’Azerbaïdjan. » Pour certains commentateurs russes, cette déclaration cherche à faire entrer à la table des négociations internationales Stepanakert (capitale de la République de l’Arstakh). Mais pour l’humanitaire, « c’est une tentative désespérée et peu convaincante de Pachinian de rassurer les Artsakhis, Aliyev n’acceptera jamais de considérer Arayik Harutyunyan, président de l’Artsakh, comme un homologue officiel. » Le président l’a d’ailleurs rappelé, « soit les Artsakhis prennent la nationalité azerbaïdjanaise, soit ils quittent notre pays. » Quand on lui demande son avis sur l’avenir de l’Artsakh, Corentin Clerc est pessimiste : « Avec la fermeture du corridor de Latchine cet hiver, le Haut-Karabagh est désormais complétement enclavé. La route alternative construite par l’Azerbaïdjan est maintenue fermée. La République autoproclamée est dans une situation de siège, on leur a coupé le gaz, l’électricité et même l’eau avec le détournement des rivières. Seuls quelques convois humanitaires de la Croix Rouge Internationale et l’armée russe permettent à la population de survivre en donnant aux locaux les vivres nécessaires pour pouvoir manger à leur faim. Nous même avons pu à grand peine acheminer un convoi de pommes de terre, et l’accès nous est depuis impossible. Dans ces conditions, malgré la détermination tenace de ces Arméniens, Sténapakert risque de ne pas résister longtemps. » 

Encore une fois, l’Arménie est la grande oubliée de l’histoire, sacrifiée sur l’autel des relations internationales.

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