Alors que les gouvernements européens alternaient entre une panoplie de mesures plus ou moins restrictives sur fond de crise de Covid 19, Xi Jinping optait pour une certaine forme de simplicité : confinements à répétition et quarantaine systématique au moindre cas. En Europe, Le virus nous était sorti de la tête depuis des mois, tandis qu’à l’autre bout du monde les rues des métropoles restaient désespérément vides, jusqu’aux manifestations des 25 et 26 novembre.
Les rassemblements auraient égalé par leur ampleur ceux de Tian an Men, restés dans les mémoires pour le massacre alors perpétré par les autorités. Depuis, les manifestations contre le pouvoir sont extrêmement rares : « C’est la première fois depuis 1999 que les manifestants demandent au gouvernement de démissionner, et que les revendications portent sur la politique globale des autorités », précise pour France Info Steve Tsang, directeur de l’institut chinois de la School of Oriental and African Studies à Londres.
Mais cette fois-ci les soulèvements partout dans le pays et les déchirements internes à bas bruit au sein du parti communiste chinois contre une « stratégie » insensée ont finalement fait plier Pékin, le 7 décembre dernier. En revanche ce sera à marche forcée : du « zéro covid », on passe sans transition au « zéro problème », en quelque sorte. La population rendue vulnérable est exposée, alors que le virus est désormais comparé par la propagande nationale à une simple grippe.
Mauvaise transition, grands problèmes
Le résultat est finalement inquiétant à de nombreux égards, et c’est une liberté à grand prix qu’ont gagné les citoyens chinois. D’abord parce qu’une population enfermée s’affaiblit, et de nombreux experts prédisent une flambée d’épidémies en tous genres, dont fait déjà partie le sempiternel virus : si les chiffres officiels affichaient moins de 15 000 morts du coronavirus jusqu’à décembre, ce sont près de 60 000 décès qui ont été comptabilisés officiellement le mois suivant, largement sous-estimé.
Une réponse de la Commission nationale chinoise de la Santé ? En quelque sorte, puisqu’elle décide alors de cesser toute publication de ces chiffres. Rassurant, quand on sait que le site Reuters anticipe un bilan 2023 atteignant le million de morts, alors que la compagnie spécialisée Airfinity estime que ce bilan est déjà atteint, deux mois après la levée des restrictions.
Des prévisions économiques préoccupantes
Une autre difficulté vient s’ajouter, celle de la reprise des activités normales, et avec elle son lot de perdants. En effet des milliers de postes avaient été créés spécialement pour appliquer les mesures drastiques du gouvernement, et qui dit phase finale de la pandémie dit également phase terminale pour ces emplois de circonstances. Sans avertissement préalable, parfois même sans salaire depuis des mois, ces nouveaux chômeurs alimentent la gronde, accompagnés des entreprises qui en avaient fait leur business. « Le seul déploiement des tests PCR en Chine coûtait au pays 2% de son PIB chaque année, soit autant que le budget de la défense », lit-on sur le site de France Info.
Tout cela s’ajoute à un problème latent, aux multiples facteurs : l’économie chinoise va mal. En premier lieu du fait de sa population vieillissante, qui en plus d’être d’autant plus vulnérable aux effets du Covid, n’est plus suffisamment dynamique pour maintenir le rythme de croissance qui a fait son ascension et qui aurait dû permettre de surpasser les États-Unis au plan du hard power. Pire encore : la population diminue déjà, et la tendance lourde devrait voir le géant réduit à 600 millions d’habitants à l’horizon 2100. La part des pensions de retraites représentera alors 20 % du PIB contre 4 % aujourd’hui, tandis que les investissements et la construction immobilière, surdimensionnés, risquent d’engendrer de sérieux problèmes financiers, car le secteur concentre massivement l’épargne chinoise. La Chine doit construire, même si sa population baisse, et se retrouve dans une impasse.
Une perspective alarmante, alors que le PIB de la deuxième économie mondiale n’a augmenté en 2022 que de 3 %, un chiffre archaïque que la Chine n’avait pas revu depuis 1976 à l’exception du pic de crise Covid en 2020. Certains facteurs soient propres à 2022, comme les sécheresses qui freiné la production hydroélectrique – si l’on exclue qu’ils puissent se faire plus fréquents pour raisons climatiques. Mais d’autres comme le chômage des jeunes à 18,4 % au printemps 2022 fait craindre une difficile sortie de la léthargie du pays depuis le premier confinement.
Un pouvoir défié, mais pas défait
Malgré le placement minutieux de ses propres sbires au sein des organes de pouvoir, lors du grand congrès de novembre dernier, Xi Jinping a de plus en plus de mal à maintenir son image de leader incontesté – car infaillible. Il est difficile de connaître l’avis des membres du parti, d’autant que la purge de ces dernières années (pour « corruption ») n’a fait que renforcer la docilité de la plupart d’entre eux. En revanche l’application seulement partielle de certaines des mesures dictées à la ville de Shangaï, par exemple, ont fait apparaître certaines failles internes.
La population quant à elle se rend de plus en plus compte que les règles quasi dogmatiques de son chef d’Etat ne correspondent pas au slogan « préserver la vie avant tout ». Pour qui se réjouirait de cette – très – lente prise de conscience, « Attention, le Covid seul ne fera pas tomber le gouvernement », rappelle Steve Tsang. L’année s’annonce très dure pour la population chinoise.