Le géant chinois est-il en train de sortir de sa réserve ? Après une séquence diplomatique tout en dialogue lors de la réunion des membres du G20 à Bali, les 15 et 16 novembre, Xi Jinping veut s’imposer comme interlocuteur privilégié de l’Occident. Depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie, le régime de Pékin joue une partition qui « pourrait se résumer par une forme de ni-ni : ni approbation ni condamnation », observe Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par nos confrères du Figaro. Un positionnement officiel qui n’a pas empêché la Chine d’intervenir discrètement à certaines occasions.
Le journaliste anglo-russe Owen Matthews a publié le 10 novembre 2022 un livre intitulé Overreach: The Inside Story of Putin’s War Against Ukraine[1], dans lequel il dévoile une phase active de la collaboration des services américains et chinois, dans l’affaire des avions MiG-29. En mars dernier, dans les débuts du conflit en Ukraine, la Chine aurait empêché le transfert d’avions de combat MiG-29 polonais vers l’Ukraine par le biais de tractations discrètes avec Washington. Les avions, datant de l’ère soviétique, devaient être entreposés sur une base aérienne américaine afin d’être utilisés par les Ukrainiens. La discrète intervention de Pékin a fait prendre conscience aux Américains que ce transfert constituait une intervention directe d’un pays de l’OTAN dans le conflit, considéré alors comme une ligne rouge. « En réalité, il était peu probable que les MiG polonais fassent une grande différence sur le champ de bataille », admet Owen Matthews dans les colonnes du magazine britannique The Spectator. Qu’importe que ces vieux appareils aient des capacités restreintes. C’est « le fait qu’un pays de l’OTAN fournisse des avions de combat de quelque type que ce soit à Kiev représentait une étape symbolique importante […] vers une implication directe de l’OTAN dans le conflit. » On retiendra surtout que Pékin a fait plier Washington, évitant probablement que le conflit ne s’exporte.
La médiation chinoise encouragée par la France
Lors de la réunion du G20, Emmanuel Macron et Xi Jinping ont échangé leurs consentements pour un étonnant mariage de circonstance. Devant un parterre de journalistes venus du monde entier, le chef de l’État français a reconnu « un espace de convergence » avec la Chine. La Chine « peut jouer à nos côtés un rôle de médiation plus important dans les prochains mois », a-t-il indiqué. Et le dirigeant chinois de répondre : « la Chine et la France, la Chine et l’Europe, doivent faire en sorte que leur relation se développe sur les bons rails à long terme afin d’injecter de la stabilité et une énergie positive dans le monde », relaye 20 Minutes. Notons que l’Union Européenne représente un marché incontournable pour la Chine, qui y investit massivement depuis des dizaines d’années. La guerre en Ukraine constitue une perturbation grave des circuits économiques et diplomatiques. Selon le sinologue Emmanuel Lincot, interrogé par Le Figaro, « cette crise en Ukraine révèle des tensions de toujours qui opposent deux grandes obédiences : ceux enclins à une coopération avec les Occidentaux et ceux enclins à une coopération avec la Russie ». Pour autant, le sentiment nationaliste de Xi Jinping pourrait l’empêcher de passer le pas d’une coopération complète avec l’Occident[2], au profit d’un jeu subtil de médiation avec ce dernier, visant in fine à battre son grand adversaire, les États-Unis.
Un pas vers l’hégémonie chinoise ?
Ni la France, ni l’Europe ne sauraient être dupe de la volonté hégémonique de la puissance chinoise. Dans un article paru dans la revue géopolitique Conflits, deux enseignants-chercheurs de l’ICES, Matthieu Grandpierron et Éric Pomès, identifient « l’ascension pacifique » menée par la Chine, en cette période charnière de contestation de l’ordre international. L’objectif, documenté et daté pour 2049, est de devenir la première puissance mondiale. « Les États-Unis, expliquent les auteurs, se voient reprocher de faire partie intégrante des problèmes mondiaux en déstabilisant des régions entières ». Difficile alors d’imaginer confier la résolution d’un conflit majeur par une entité si contestée. L’article détaille les cinq éléments plaidés par la Chine, pour un ordre international étatique pluraliste : « Le respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté ; la non-agression mutuelle ; la non-ingérence dans les affaires intérieures ; l’égalité et les avantages mutuels ; et la coexistence pacifique. » Un retour à l’ordre westphalien ?