Le discours du Président aura su, pour le moins, mobiliser l’audience : 15,1 millions de Français ont assisté à son discours sous les ors de l’Élysée, agrémenté de subtils zooms caméra lors des moments les plus intenses de son discours à l’accent paternel et rassembleur. À l’image de la convention citoyenne sur la fin de vie – plutôt que du référendum d’initiative partagée, rejeté à l’expéditive par le Conseil constitutionnel – le Président a affirmé vouloir que la vie démocratique « gagne en participation citoyenne ». En revanche, pas de relâchement : il ne faut « rien céder aux divisions ». Et aux oppositions ?
Dialogue
Sur ce point il donne le change et ouvre les bras : il faut « ouvrir sans aucune limite, sans aucun tabou, une série de négociations sur les sujets essentiels ». « La porte sera toujours ouverte », a-t-il plaidé non sans étonner, quand le très mesuré secrétaire général de la CFDT réclame depuis deux mois de pouvoir dialoguer sur la réforme : « la porte de l’Élysée a été fermée à triple tour pendant trois mois », a regretté Laurent Berger à l’antenne de BFMTV, avant d’ajouter : « Les regrets ne vont pas changer grand-chose. ».
Immigration expresse, « D’ici à la fin de l’année prochaine, nous aurons désengorgé tous les services d’urgence »
Détour express par l’immigration et la sécurité, après une bifurcation par l’« État de droit, socle de notre démocratie ». « Nous renforcerons le contrôle de l’immigration illégale tout en intégrant mieux ceux qui rejoignent notre pays », prévient-il le visage grave. Un zigzag à l’aveugle entre les thèmes droitiers à cocher pour rassurer ses alliés restant chez Les Républicains, tels que « la justice et de l’ordre républicain », avec pour ambition chiffrée de recruter « plus de 10 000 magistrats » et de créer « 200 nouvelles brigades de gendarmerie dans nos campagnes ».
Les « mesures fortes » ne s’arrêtent pas là. Il fallait réorienter le regard vers l’avenir et les lendemains qui chantent : ce fut donc le retour des promesses concrètes et poignantes, car « il faut des résultats concrets à court terme ». Au menu notamment, « remplacement systématique des professeurs absents » dans les écoles, assurance d’avoir « d’ici à la fin de l’année prochaine […] désengorgé tous les services d’urgence ». Tout, mais surtout gagner du temps : « Nous avons cent jour devant nous, cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France ». Il appelle solennellement à forger des « coalitions et des alliances nouvelles » avec « toutes les forces d’action et de bonne volonté ».
« Nous devons lutter contre le sentiment que voter, ce n’est pas décider ».
Abordant l’« indépendance française et européenne », le Président soulignait que « nous sommes un peuple qui entend maitriser et choisir son destin ». Certains des plus remontés parmi les téléspectateurs y ont peut-être vu l’écho de ses propos passés, le 6 août 2020 au Liban quand, le teint hâlé et le cœur fier de raviver une tradition française, il rappelait aux autorités libanaises qu’« une révolution ne s’invite pas, c’est le peuple qui la décide ! »
Un élan démocratique qu’Emmanuel Macron poursuit encore : « Nous devons lutter contre le sentiment que voter, ce n’est pas décider ». Un discours pour le moins audacieux, moins d’un an après son propre constat lucide que « nombre de nos compatriotes ayant voté pour moi l’on fait non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à l’extrême droite ». Il promettait au sortir du second tour victorieux que « La colère et les désaccords qui les ont conduits à voter pour ce projet doivent aussi trouver une réponse » ; d’une certaine manière, la réponse n’a pas tardé.
« Les casseroles sonnent plus juste »
Comme la plupart des opposants au texte, Marine Le Pen ne voyait pas de problème à refuser la promulgation après sa validation par les sages : « Par l’annonce du retrait de la réforme des retraites ou du référendum, Emmanuel Macron aurait pu ce soir retisser le lien avec les Français. Il a choisi de nouveau de leur tourner le dos et d’ignorer leurs souffrances. »
Le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti, pense quant à lui qu’il existe un vrai « risque de réactivation du mouvement social », en poursuivant qu’il « se dégage quand même cette étrange sensation que le chef de l’État est aujourd’hui dans un autre espace-temps, loin du contexte social et politique actuel. On aurait dit qu’il était candidat, alors qu’il est Président de la République depuis six ans ». « Dans les semaines à venir, il va devoir faire du cabotage politique et parlementaire pour rester à flot. »
Fidèle à lui-même, Jean Luc Mélenchon l’estime « complètement hors de la réalité » ; « les casseroles sonnent plus juste », finit-il en référence aux « casserolades » qu’il appelait de ses vœux à 20h devant les mairies. « Le monde entier doit savoir que le peuple en France ne se laisse pas voler deux ans de liberté par son monarque. » Pari gagné ! Les touristes ont de quoi s’ébaubir en flânant face au « charme français de la rébellion ». C’était peut-être cela dont parlait le Président, lorsqu’il assurait mystérieusement avoir « chaque fois cherché à libérer les énergies ».