Le 9 février dernier, La chambre basse espagnole approuvait le projet de loi de la ministre espagnole des Droits sociaux, Ione Belarra, du parti Unidas Podemos (gauche radicale). Le projet pour le « bien-être animal » introduit une modification lourde de conséquences au dernier texte de 2015 sur le sujet : désormais, seules les blessures physiques seront pénalement répréhensibles. Autrement dit, la loi refermerait les yeux sur la zoophilie.
Le parlement espagnol avait auparavant reconnu la sensibilité et le statut d’« êtres à part entière » aux bêtes ; dès lors pourquoi condamner une simple relation sexuelle entre deux êtres, fussent-ils d’espèces différentes ? En fait, avant même les autres implications sociétales, un problème revient comme un boomerang contre le parti instigateur de ces mesures, alors que les militants animalistes eux-mêmes pointent une incohérence élémentaire : une relation sexuelle sans consentement, n’est-ce pas un viol ?
Un agenda politique et des incohérences
« Les animaux, comme les enfants, n’ont pas la capacité de donner leur consentement, de sorte que la bestialité a été classée comme un nouveau crime impliquant l’exploitation sexuelle des animaux, quelle que soit la gravité des dommages causés », disait l’ancienne loi espagnole de 2015 l’article 337.1 du code pénal qui condamnait l’exploitation sexuelle d’un animal. La peine encourue allait jusqu’à un an de prison. Mais la nouvelle loi évince la question, et tout dépendra du juge, qui pourra considérer que, dans les yeux d’Émilie (la vache) se reflétait la tristesse des sévices sexuels de son propriétaire. Mais si ces yeux ne lui disent rien, alors l’union charnelle sera bénie d’un non-lieu.
Plusieurs journaux espagnols ont relevé l’incohérence, et certains militants animalistes ont même considéré cela comme une approbation du viol animal, ce qui est tout à fait cohérent avec leur statut fraîchement créé d’être sentient et digne, c’est-à-dire à leurs yeux presque humains – le vice en moins, s’entend. Le parti Unidos Podemos était pourtant déjà à l’origine des lois antérieures. Peut-être ont-ils considéré les animaux comme adultes et consentants par défaut ? Le nombre de cas était-il si important que la justice ne pouvait plus les traiter ? Nul ne sait vraiment, alors que les arguments en faveur du texte se cristallisent surtout sur la possibilité de punir encore certains actes au cas par cas. Mais une chose est sûre : le principe même de relation sexuelle avec un animal ne fait plus sourciller.
Ce que cela dit de nous
Il est possible d’aborder le sujet sous un autre angle : pourquoi légiférer ? Dans une démocratie libérale, l’acte d’un homme seul contre lui-même n’est pas puni par la justice, et ce surtout s’il relève d’une question morale, puisque cela ne gêne pas la société. Du moins pas autrement que la répulsion qu’inspire tout acte réprouvable moralement. Mais l’œil accusateur d’une communauté sur les mœurs d’un de ses membres n’est pas celui, froid (en théorie), de la justice française ou espagnole. Dès lors si la société considère que la zoophilie est mauvaise moralement, comme on pourrait dire de la paresse, l’avarice ou autres dépravations, elle n’aurait pas davantage sa place dans un code de loi pénale.
Alors, dans le cas présent, un animal est considéré comme un être sensible que les actes d’un pauvre homme peuvent affecter. Plus encore certains voudraient y voir un équivalent des hommes. Mais trouveraient-on réellement comparable un viol de bœuf à celui d’une femme ? Si Aymeric Caron, en France, se dit pris de la même tendresse pour une mère femme ou moustique, c’est que toute forme de vie aurait la même dignité, du fait même qu’elle possède un système nerveux. Ou même pas, en l’occurrence.
Il faut dire que pénaliser la zoophilie en tant que telle, pour des raisons qui ne seraient pas purement morales – religieuses, anthropologiques, ou contre la cruauté par exemple – reviendrait très vite à considérer l’animal comme une sorte de citoyen à part entière, avec ses relations intimes et son droit de choisir ou non tel ou tel partenaire humain… Pour le moment le droit européen n’a pas avancé jusqu’à ce stade, mais les mœurs y tendent.
La société semble opérer un virage inédit, en se désolidarisant de sa propre espèce. D’abord, le mouvement écologiste considère que toutes les espèces se valent entre elles d’un point de vue « objectif », à l’échelle de la Terre. Mais dans un deuxième temps, il faudrait abandonner toute prévalence, toute considération particulière à nos semblables humains. Certains y voient une des dernières étapes de l’amour universel – après l’antiracisme : l’antispécisme – car, finalement, nous sommes tous des bêtes.
Oui, votre enfant aussi. Car les nouveaux membres de la famille ont des droits, et en cas de divorce par exemple, le juge devra traiter la garde d’un chien ou d’un cochon d’Inde comme celle des enfants. Certains juristes alertent : « La prise en compte du sort des animaux domestiques complique celui des enfants. » Face au gouffre qui nous sépare de nos animaux, même aimés sincèrement, la loi zigzague entre les impasses, quitte à pénaliser les hommes et à réduire petit à petit les implications de la citoyenneté à l’état sauvage.
Du côté de la France
Chez nous, l’article 515-14 du code civil voit les animaux comme « des êtres vivants doués de sensibilités » En revanche, article 521-1-1 du code pénal : « Les atteintes sexuelles sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende », avec possibilité de circonstances aggravantes. De plus les animaux domestiques sont soumis au régime du droit des biens. Donc pas de garde du chien équivalente à la garde des enfants.
L’opinion publique n’est pas pour autant si éloignée de la situation espagnole. On assiste à des débats pour le moins déroutants sur la prolifération des « surmulots » à Paris (pour prendre en compte le droit des rats) et sur l’alimentation végane des lions par David Olivier, auteur des Cahiers antispécistes.
Les Français – très – amoureux des animaux devront donc patienter, ou passer la frontière. Si la loi sur la « protection animale » est votée au Sénat madrilène, l’Espagne serait le quatrième pays à légaliser de facto la zoophilie sur son territoire, après les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark, souvent d’avant-garde pour le progrès des mœurs. Mais d’abord, les Cortes favorables au projet devront conquérir une chambre haute plus conservatrice – de peu – que le Congrès des députés (d’après le site espagnol El Periodico), où le parti Unidos Podemos n’est pas représenté.
Alexandre Cervantes