Bien que rédigés par des intellectuels militants, certains livres de témoignages peuvent nous éclairer sur des réalités géopolitiques. C’est le cas de l’essai que le journaliste Timothée de Rauglaudre vient de consacrer à la théologie de la libération, un mouvement catholique né en Amérique du Sud mais aux nombreuses résonances françaises. Chrétien de gauche revendiqué, l’auteur est allé du Brésil au Mexique, en passant par Paris, à la rencontre des acteurs qui depuis un demi-siècle font vivre cette affirmation du droit des plus pauvres à voir s’améliorer concrètement leurs conditions de vie et à bénéficier d’une égale dignité avec ceux qui bénéficient de revenus conséquents.
Rédigé sur un ton enthousiaste, l’ouvrage nous entraîne d’une paroisse française de Trappes, fréquentée par des fidèles capverdiens, à une autre, brésilienne celle-ci, située à Sao Paulo, où le père Lancellotti met en œuvre au quotidien la théologie de la libération malgré la concurrence grandissante des sectes protestantes. Dans cette même ville vit un religieux dominicain, Frei Betto qui fut l’ami et le conseiller du président Lula avant de prendre ses distances avec lui. Au Mexique, Timothée de Rauglaudre nous entraîne chez les Indiens de la région du Chiapas où le père Heriberto Cruz Vera a été sérieusement blessé à cause de son soutien à leur cause.
Clef de compréhension intellectuelle
Ce livre évoque également les grandes figures de la théologie de la libération que furent les évêques Don Samuel Ruiz Garcia et Don Sergio Mendez Arceo au Mexique, le père Ernesto Cardenal, membre du gouvernement sandiniste au Nicaragua, le prêtre péruvien Gustavo Guttiérrez ou encore le théologien dominicain Jean Cardonnel en France. Des figures qui eurent souvent à subir les foudres de la CIA et du Vatican dans le cadre des derniers soubresauts de la guerre froide.
Reste la question de l’influence de la théologie de la libération sur l’actuel souverain pontife, le pape François. Hostile au marxisme qui avait largement influencé le mouvement, ses racines intellectuelles ont plutôt incliné sa trajectoire vers la « théologie du peuple », beaucoup plus attentive à la lutte contre l’exclusion qu’à la révolution.
Point d’étape d’un pan d’Histoire qui est loin d’être achevé, ce livre constitue une excellente introduction à l’une des matrices intellectuelles essentielles à la compréhension de l’Amérique latine contemporaine.
Timothée de Rauglaudre, Les Moissonneurs, 182 p., 17 euros
