Embourbé dans les sanctions et les envois d’armes pour l’Ukraine, un autre front se rappelle en ce moment à la France, après le retrait des troupes de Barkhane. Alors que le coup d’État au Burkina Faso en septembre avait déjà fait vaciller les positions françaises au Sahel, le gouvernement burkinabé « a dénoncé l’accord qui régit depuis 2018 la présence des forces armées françaises sur son territoire ». La nouvelle a été communiquée par l‘Agence d’information du Burkina, et n’est malheureusement pas si surprenante. Comme un rappel macabre, les mercenaires russes de Wagner ont joué un rôle déterminant dans le retournement des opinions du pays.
Un régime sans Sahel
La France voit son influence attaquée dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, où certaines populations et leurs dirigeants n’hésitent pas à afficher leur mépris grandissant pour l’ancien colonisateur, voire directement pour la personne d’Emmanuel Macron, « missionnaire de la Françafrique » comme on le lit parfois sur des pancartes en manifestation – au Tchad, au Mali ou encore, justement, au Burkina Faso.
Ces élans de colère contre la présence française ont lieu dans Ouagadougou depuis le coup d’État, et les slogans sont explicites : le « désir de France » dont parlait Emmanuel Macron n’est pas partagé par tout le monde. On reproche à la France ses méthodes « coloniales », ainsi que la crise économique issue des sanctions contre la Russie ou encore le fait, fermement démenti depuis, que l’armée française aurait protégé le lieutenant-colonel Damiba destitué en septembre. Outre l’assaut de notre ambassade, les conséquences de ces allégations cumulées sont désastreuses, et les troupes engagées jusque-là pour l’opération Sabre afin d’endiguer le terrorisme sont poussées vers la sortie.
Le retrait des soldats de l’opération Barkhane du Mali en octobre avait provoqué le même phénomène : un appel d’air pour les djihadistes d’Al-Qaïda, dont les attaques contre l’armée malienne se sont alors intensifiées. Au Burkina, le groupe djihadiste contrôlait en octobre plus de 40% du territoire d’après l’Etat major sur place, et un retrait prématuré des troupes françaises pourrait achever de déstabiliser la zone.
Wagner contre les « zombies » français
Mais ce sont bien les troupes françaises que semble craindre le gouvernement du capitaine Ibrahim Traoré, et l’influence des mercenaires russes de Wagner n’est pas à négliger : couteau dans la plaie française, l’armée privée a produit un deuxième court métrage faisant sa propre apologie.
Une publicité bien loin de la subtilité. Le cartoon à destination des populations africaines dépeint un fort soldat malien, machine gun à la main, tirant à vue sur une horde de… zombies français, éructant « Nous sommes les démons de Macron ». Le brave soldat, à court de munitions, se voit alors tendre une main fraternelle par un autre brave soldat, arborant pour sa part les écussons de Wagner surmontés d’un drapeau russe. Lunaire.
Ce cartoon qui interpelle par son aspect outrancier est loin d’être isolé dans l’intense bataille pour l’image que se livrent Russes et Français : panneaux de publicité vantant la fraternité de l’un ou de l’autre avec le pays visé, rumeurs etc. Cela, malheureusement, fonctionne bien pour les Russes, qui gagnent chaque jour d’embraser les cœurs contre une France qui ne s’est pas rendue diabolique entre temps. « Il est étrange que ce ressentiment éclate maintenant, dans un contexte où la Françafrique n’est plus d’actualité et où les derniers gouvernements français se sont évertués à s’en détacher et en particulier Emmanuel Macron », remarque même Jeff Hawkins, l’ancien ambassadeur américain en Centrafrique pour Le Figaro.
Impasse Française ?
Il est Certain que les maladresses du Président ont également leur part de responsabilité, des critiques de l’« hypocrisie » des pays ne reconnaissant pas la guerre en Ukraine en tant que telle à l’adoubement du fils d’Idriss Deby au Tchad, dans un contexte de rébellion contre le pouvoir dictatorial que son geste n’a pas participé à apaiser. Car, désormais, la junte malienne s’est bien rapprochée de Wagner comme garantie de stabilité, et l’idée d’une Russie protectrice semble également avoir fait son chemin du côté burkinabé.
Dans un tel contexte, le spécialiste du Sahel Élie Tenenbaum considérait que « Le départ français est une question de temps », alors que l’influence de la France dans la région s’affaiblit de jours en jours. C’est dans une tentative de redorer cette image en même temps que de conforter sa légitimité internationale que Marine le Pen s’était rendue au Sénégal la semaine dernière, pour y flatter la souveraineté nécessaire des pays francophones en espérant renouer les liens économiques et politiques avec la France, en pleine déliquescence dans la région.