Quand Kherson était russe
Notre périple commence à Kherson, où nous suivons celui qui était alors le vice-gouverneur de la région, l’Ukrainien pro-russe Kirill Stremousov. Était, car cet homme politique est mort percuté par un camion quelques semaines à peine après ce reportage. D’ailleurs, alors qu’il explique dans quel état se trouve le pont Antonovsky dont le tablier est perforé par les roquettes d’Himars ukrainiens, il déclare sans ambages : « c’est peut-être la dernière fois que vous me parlez ». En effet, recherché par les Ukrainiens qui le considèrent comme un traître à la patrie, sa vie était un risque permanent.
Très favorable au régime de Vladimir Poutine, Stremousov se sent russe, absolument. La guerre est pour lui un mal nécessaire, qui conduira la Russie à libérer ses frères ukrainiens. Et lorsque Régis Le Sommier lui rappelle que c’est Vladimir Poutine qui a décidé d’attaquer, il botte en touche.
La ville de Kherson, aujourd’hui reprise par l’armée ukrainienne, a cependant vécu plusieurs semaines à l’heure russe. Beaucoup sont partis. Alors, même l’éducation des enfants a changé durant cette période. L’Holodomor, famine des années 30 et fondement du roman national ukrainien, n’est plus enseigné. L’économie tourne toujours, les marchés fonctionnent, les restaurants sont ouverts, les pêcheurs à la ligne s’agglutinent sur les berges du fleuve. Pourtant à quelques dizaines de kilomètres, le canon gronde et les Russes préparent leur retrait sur l’autre rive du fleuve. Alors que nous quittons la ville pour Zaporojié, il faut à nouveau franchir le fleuve sur des pontons du génie militaire russe sous la menace des tirs d’Himars qui régulièrement frappent et coulent ces engins de franchissement.
Zaporojié, et le syndrome de Tchernobyl
Tchernobyl, c’est un traumatisme qui n’a jamais quitté l’esprit ni des Ukrainiens, ni des Russes. Lorsqu’en 1986, le réacteur de la centrale explose, le monde entier prend conscience de la dangerosité du nucléaire civil. À Zaporojié, les jeunes générations n’ont jamais connu la catastrophe, mais les récits de leurs parents ont bercé leur jeunesse.
La plus grande centrale nucléaire d’Europe est désormais sous le contrôle des Russes. Poutine s’en est emparée sans combattre, et ne compte pas la redonner si facilement. Cependant, malgré l’alerte des autorités de sûreté nucléaire dans le monde et dans la région –une pétition favorable à un no-man’s-land a réuni plus de 20 000 signatures- les tirs ne cessent pas dans la zone : ce sont les Ukrainiens qui jouent avec le feu, avec l’uranium. Les techniciens de la centrale sont les premiers inquiets : pour eux, l’Ukraine peut connaître un nouveau Tchernobyl si la région n’est pas sanctuarisée. Évidemment, cela se ferait pour eux à l’avantage de Vladimir Poutine, ce contre quoi s’élèvent les Ukrainiens.
De Marioupol à Donetsk
Après avoir quitté Zaporojié, nous sommes allés à la rencontre des Cosaques, unités d’élite de l’armée russe. Pragmatiques sur la réalité du terrain, ils disposent d’armements qui tiennent à distance les troupes ukrainiennes qui poussent timidement leur contre-offensive. Nous les laissons face au combat, pour gagner Marioupol.
En mars 2022 le président d’OMERTA, je m’étais déjà rendu à Marioupol, en compagnie de Liseron Boudoul. La ville était alors sous le feu croisé des Russes qui tentaient de s’en emparer pour sécuriser son précieux port, et celui des Ukrainiens bien décidés à y organiser un festung.
Le périple s’achève à Donetsk, puis Louhansk et dans sa région : Severodonetsk et Lissichansk prises par les Russes en juillet. C’est à quelques kilomètres que les combats font rage entre Izium et Bakhmut, Kupiansk. Nous en sommes certains, aucun des deux belligérants ne lâchera facilement. Nous le constatons, les Russes se renforcent et préparent l’hiver. La bataille qui s’annonce sera terrible.
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