Après le boycott et l’élection de maires albanais dans les municipalités du nord du Kosovo fin avril, la minorité serbe a manifesté pacifiquement en signe de protestation. La réaction brutale de la police kosovare a fait monter la violence d’un cran, obligeant les forces d’interposition de l’OTAN à intervenir.
Plus de 30 soldats du contingent des Forces pour le Kosovo (KFOR en anglais) ont été blessés, ainsi que 52 Serbes, dont deux par balles, selon le Président serbe Alexandre Vuvic relayé par France 24. Malgré une baisse des tensions, la situation demeurait tendue mardi soir.
Tout commence en septembre dernier, lorsque le gouvernement de Pristina, capitale du Kosovo, a exigé des Serbes du pays de changer leurs plaques d’immatriculations serbes contre des plaques kosovares. Les autorités se sont heurtées aux protestations de ces derniers et à des vagues de manifestations et d’émeutes. OMERTA était partie à la rencontre des émeutiers en novembre 2022. Considérant les risques d’un regain de tensions, la mesure a été repoussée d’un mois puis tout simplement annulée. Mais le mal était déjà fait. Des barrages routiers ont été dressés dans tout le nord du pays pour empêcher l’accès aux voitures immatriculées au Kosovo et en Albanie. La majorité des Serbes ont également démissionné de toutes les administrations de la jeune république des Balkans, des municipalités et des forces de police notamment. Les élections municipales ont alors été reportées au mois d’avril. Le scrutin a été massivement boycotté dans les communes du nord du pays, avec un taux de participation de 3,5%. Néanmoins, les élections ont été validées et des maires albanais ont dû prendre la tête de village où plus de 90% des administrés ne reconnaissent pas leur légitimité. De nombreuses manifestations pacifistes se déroulent depuis avril pour protester contre cette aberration. Les manifestants ont été violemment réprimés par les forces de police kosovares, qui ont méthodiquement arraché les drapeaux serbes qui trônaient encore sur les mairies. Ils ont été remplacés par des drapeaux albanais. Même Washington, pourtant soutien inconditionnel du Kosovo, a condamné les violences policières. Lundi 29 mai dernier, Jeffrey Hovenier, l’ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Pristina, a d’ailleurs annoncé l’exclusion du Kosovo de Defender 23, un programme d’exercices militaires conjoints rassemblant plus de 20 pays : « Pour le Kosovo, cet exercice est terminé », a-t-il déclaré en conférence de presse.
Une crise structurelle qui dure
Si cette histoire de plaque d’immatriculation et d’élection peut sembler secondaire, elle est en réalité le symptôme d’un mal profond qui suscite l’inquiétude des 50 000 Serbes vivant au nord du Kosovo. Depuis sa déclaration d’indépendance en 2008, cette ancienne région de la République de Serbie n’a eu de cesse de grignoter les droits de cette minorité. En effet, en 2013, le gouvernement serbe de Belgrade et celui de Pristina ont conclu un accord. En échange de la reconnaissance de plusieurs administrations kosovares, le gouvernement de Pristina avait promis la création d’une communauté de communes rassemblant les municipalités du Kosovo où les Serbes sont majoritaires. Or cet accord n’a jamais été respecté par la partie kosovare, en dépit des concessions toujours plus importantes de la minorité serbe. Ces derniers craignent depuis d’être chassées de leur terre. Ces crises conjoncturelles sont donc bien le fruit d’un problème structurel jamais résolu. Et ni l’Union européenne, ni l’OTAN, ni les États-Unis, principaux responsables de la situation, n’ont à ce jour réussi à désamorcer ce conflit, en proposant une solution politique durable et équilibrée.
Faire pression sur la Serbie ?
Nicolas Mirkovic est essayiste et co-fondateur de l’ONG Solidarité Kosovo, qui intervient en soutien des minorités serbes au Kosovo. Il livre pour OMERTA son témoignage sur la situation : « Les évènements de ce week-end sont l’épisode le plus violent observé depuis plus de dix ans. De plus, le nouveau Premier ministre du Kosovo Albin Kurti n’est guère enclin à la moindre concession et l’on peut présager que la situation générale ne s’améliorera pas dans les prochains mois, voire dans les prochaines années », explique-t-il. « Néanmoins, la réponse des autorités kosovares n’a pu se faire sans l’aval de Washington, malgré la position officielle de la Maison Blanche, détaille-t-il. Il s’agirait donc d’un moyen de faire pression sur la Serbie, vis-à-vis de sa position ambiguë sur l’indépendance totale du Kosovo et la guerre en Ukraine. » En effet, si la Serbie a bien voulu livrer une importante aide humanitaire aux civils, victimes du conflit, elle refuse de soutenir les propositions de sanctions initiées par l’UE et les États-Unis à contre la Russie, ainsi que de livrer du matériel militaire à l’Ukraine. La Serbie, allié historique de la Russie, refuse de s’aligner sur la position de ses ennemis d’hier.