Elle s’appelle Nasra Abukar Ali. Elle termine en 21 secondes 81 centièmes, à dix secondes de la vainqueure. En Somalie, c’est un véritable scandale national : il s’agit en effet du pire temps de l’histoire sur 100 mètres. La scène rappelle une autre course. C’était le 23 juin dernier, au Championnat d’Europe d’athlétisme à Chorzów, en Pologne. On y voyait également une athlète se traîner loin derrière les autres et même franchir péniblement les haies d’un 110 mètres. Cette athlète, Jolien Boukwo, de nationalité belge, n’était pas du tout une coureuse de haies professionnelle, mais une lanceuse de poids. Elle avait été contrainte de remplacer au débotté sa collègue sprinteuse blessée, sans quoi l’équipe de Belgique tout entière aurait été disqualifiée… Bref, c’était pour la bonne cause.
Nasra Abukar Ali, elle, attribue sa contre-performance à une blessure. Dans une interview sur son compte Facebook, elle affirme « avoir bien été sélectionnée au travers d’une série d’épreuves », mais s’être blessée juste avant la course. « En courant, je souffrais d’un claquage. Mais pour ne pas être réprimandée, j’ai continué jusqu’au bout ». Elle affirme même avoir été déçue de terminer dernière…
Tout est faux, bien sûr. « L’athlète » a été en réalité sélectionnée parce qu’elle était la nièce de la présidence de la fédération d’athlétisme somalienne, Khadija Aden Dahir, qui a été aussitôt suspendue. Elle n’est absolument pas une sprinteuse professionnelle. Il n’est même pas certain qu’elle n’ait jamais couru avant dans sa vie.
En Somalie, l’affaire est vécue comme une véritable humiliation nationale. Le pays est déchiré par la guerre depuis trente ans. Les athlètes n’y ont que très peu d’endroits pour s’entraîner. Le stade de Mogadiscio par exemple est criblé d’impacts de balles et de roquettes. Et lorsque le pays parvient à aligner des concurrents pour les Jeux olympiques, le simple fait d’y participer fait d’eux des héros nationaux. Pour ne rien arranger, lorsqu’un Somalien se distingue dans un sport, il a très souvent tendance à quitter le pays. Pour toutes ces raisons, cette course est vécue là-bas comme une véritable disgrâce.
Nasra Abukar Ali persiste néanmoins et défend sa tante : « j’ai bien été sélectionnée à travers un processus de compétitions par l’association des sports universitaires. Ils [le gouvernement somalien, ndlr] accusent la présidente sans fondement. Ils l’ont dans le nez et ils cherchent une façon de nuire à son image pour la remplacer. Elle n’a rien à voir avec tout ça. Quant à moi, je suis heureuse d’avoir porté les couleurs de mon pays et j’espère participer à de nouvelles compétitions l’an prochain. Mais si la Somalie m’en décourage, comment vais-je pouvoir me motiver ? »
Le ministre somalien des Sports a présenté des excuses et ordonné la suspension de la présidente. Mohamed Barre Mohamud a assuré que son ministère ne savait pas comment Nasra Abukar Ali avait été sélectionnée pour participer au 100 m. On a appris depuis que, contrairement à ce que raconte l’athlète, l’union des universités somaliennes n’avait envoyé aucun coureur en Chine dans le cadre d’une équipe officielle somalienne. Elle s’est donc rendue en Chine de sa propre initiative, avec la complicité de sa tante. Chaque année, l’association « Transparency International » rédige un index de la corruption. L’index comporte 180 pays et la Somalie y figure à la dernière position…