L’expression de ces réserves intervient alors que la police judiciaire devrait être départementalisée en 2023, sous l’impulsion d’une réforme du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Dans ce cadre, la police judiciaire serait placée sous une direction unique dans chaque département, elle-même placée sous l’égide du préfet.
En prévision de cette réforme, des expérimentations ont été menées dans les outre-mer et sur huit sites pilotes en métropole à partir de 2021. Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, a affirmé que ces tests étaient une réussite devant la commission des lois de l’Assemblée nationale le 12 octobre : « Malgré certaines difficultés, que je ne mésestime pas, nous enregistrons des progrès opérationnels ». Sur le terrain cependant, ces expérimentations ont provoqué des remous, notamment à Perpignan où les membres de la Police judiciaire ont refusé de travailler en collaboration avec les services de la SD locale (sûreté départementale), accusant de « sérieux problèmes de confidentialité au niveau du commissariat » selon un rapport interne cité dans Le Monde.
C’est désormais le CSM qui tire la sonnette d’alarme quant à la réforme. Bien que la magistrature et la police ne dépendent pas du même ministère, l’organe constitutionnel a tenu à rappeler que le projet devait être accompagné de « garanties » quant à « l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Le CSM énumère dans son communiqué les différentes garanties qui seraient menacées par la réforme : « la direction et le contrôle de la police judiciaire par les magistrats, directeurs d’enquête constitutionnellement garants des libertés ; le libre choix du service d’enquête par les magistrats du parquet et les juges d’instruction ; la définition et la mise en œuvre des politiques pénales sur les territoires par les procureurs généraux et les procureurs de la République ; le respect du secret de l’enquête et de l’instruction ».
Certains détracteurs voient dans la réforme un renforcement du ministère de l’Intérieur au détriment des procureurs de la République. C’est ce qu’a expliqué le procureur de la République d’Évreux, Rémi Coutin, lors d’une réunion de la Conférence nationale des procureurs de la République le 16 septembre 2022. Le procureur a exposé un cas fictif dans lequel il serait saisi d’une affaire de corruption d’un élu de la ville d’Évreux. Sans la réforme, il saisirait le service régional de la police judiciaire de Rouen, à la fois « compétent et éloigné ». Cependant, avec la mise en application de la départementalisation, il aurait le choix entre saisir « la sécurité publique d’Évreux, pas au niveau pour un dossier financier complexe et avec le risque d’une proximité avec les protagonistes » ou demander au « futur DDPN [Directeur Départemental de la Police Nationale] de la Seine-Maritime que je ne connaîtrais pas, de bien vouloir déléguer sur mon département des officiers de police judiciaire ». Dans ce dernier cas de figure, le ministère de l’Intérieur, par l’entremise du préfet et de la DDPN, aurait davantage la main sur les enquêteurs que le procureur.