Un article magistral signé Serge Halimi et Pierre Rimbert. Les deux membres du directoire du mensuel Le Monde diplomatique dénoncent dans le numéro de mars 2023 les médias occidentaux devenus à leurs yeux l’« avant-garde du parti de la guerre ». La démonstration est convaincante.
La force de leur propos est qu’il ne s’égare pas dans une lecture au premier degré des déclarations admiratives des journalistes pour Volodymyr Zelensky : « Panégyriques, étreintes, questions onctueuses : la vénération de la presse occidentale pour le président en treillis kaki paraît conforter l’idée de médias à la remorque des dirigeants politiques. Mais cette image est trompeuse. » Ils entreprennent de démontrer que, depuis une demi-douzaine d’année, « « le journalisme » se comporte de plus en plus, aux États-Unis mais aussi en Europe, comme un acteur politique autonome, doté de ses propres priorités idéologiques » qui entend aujourd’hui « engager l’Occident dans une guerre contre la Russie en supprimant de l’espace public tout débat sur les risques d’une escalade militaire ». Pour cela la plupart de médias occidentaux, de droite comme de gauche, mobilisent des « réflexes hérités de la guerre froide » au service de l’idée que les États-Unis seraient le seul garant de l’ordre international.
Nouvelle religion séculière
Pour Le Monde diplomatique, étayant son analyse de nombreuses citations et références, les médias de la gauche américaine se sont déconsidérés en tentant de faire croire à l’opinion publique qu’il existait des preuves d’une collusion entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Dès lors : « La guerre d’Ukraine leur a permis de recycler leur obsession, cette fois à partir d’une agression réelle et dans un contexte politique plus porteur, puisque les deux partis américains s’accordent pour réclamer que les États-Unis arment le pays envahi. » Pour des raisons légèrement différentes, il en va de même en Europe, constatent Serge Halimi et Pierre Rimbert, où pour les « couches cultivées » que constituent « la gauche libérale et les formations écologistes » en pointe sur le sujet, « la défense de l’Ukraine tient lieu de religion séculière ». Un culte postmoderne qui comporte plusieurs fronts : celui qui consiste à considérer qu’ « il n’y aurait qu’une seule politique étrangère possible, celle que conduisent Mme Ursula von der Leyen et le département d’État américain » mais aussi celui qui développe « une campagne en faveur de la destruction économique et militaire de la Russie ». Le troisième front, qui serait « le plus efficace car le moins perceptible » est « l’évitement de toute mise en perspective historique du conflit », en ne le comparant pas à celui opposant l’OTAN à la Serbie en 1999 ou aux autres campagnes (Irak) rapprochant l’impérialisme américain d’hier et l’impérialisme russe d’aujourd’hui. La démonstration des deux journalistes se tient.