On ne présente plus Régis le Sommier, surtout aux lecteurs d’OMERTA. Son expérience des théâtres d’opérations du XXIe siècle l’a conduit à une réflexion sur la rhétorique occidentale visant à diaboliser l’adversaire. Le juriste conservateur allemand Carl Schmitt avait pourtant alerté en son temps sur le danger de criminaliser l’ennemi, d’en faire un inimicus, adversaire personnel, et non plus un hostis, ennemi public. Une mutation morale qui se révèle très dangereuse pour l’ordre juridique régissant les rapports entre les nations.
Depuis la chute de l’empire soviétique, et même quelques mois auparavant, le complexe militaro-industriel américain a enclenché un stratégie de diabolisation des régimes autoritaires gênants ses intérêts, à commencer par Saddam Hussein en Irak. Quand on voit le résultat obtenu dans ce pays trois décennies plus tard, on peut adhérer à la question centrale soulevée par Régis Le Sommier dans ce livre : « Le problème avec l’outil diabolique est de se demander si le résultat de nos actions pour le combattre n’est pas pire que le mal à l’origine. »
Pour autant, des figures du diable existaient aux yeux de l’Occident avant Saddam Hussein, à commencer par Joseph Staline. Un Staline qui n’aurait pu mettre la main sur une grande partie de l’Europe centrale et orientale sans l’accords des Anglo-Saxons lors de la conférence de Yalta. Un Staline qui n’a pas laissé que des mauvais souvenirs dans l’imaginaire collectif russe. Voici étalés d’entrée les paradoxes qui entourent nos diables.
A la rencontre de Bachar el-Assad
Autre diable tout droit sorti l’univers soviétique, mais dans un registre évidemment différent : Vladimir Poutine. Comme le fait remarque Le Sommier : « Critiquer le comportement de Poutine et la sauvagerie qu’il a démontré en envahissant l’Ukraine est parfaitement légitime. Il s’agit de l’attaque d’un pays souverain au mépris des conventions internationales. Mais faut-il pour cela aller traquer tout ce qui est russe dans le monde et mettre en pièce une civilisation dont la culture a rencontré la nôtre à de nombreuses reprises ? Comment ne pas y voir aussi une forme de revanche assez lâche ? »
Régis Le Sommier a rencontré certains de ces diables, comme Bachar el-Assad. Celui qui était alors chef de l’État syrien, il le rencontrera pour le première fois en 2014 à Damas dans le cadre d’un entretien pour Paris Match. Loin d’être félicité pour ce scoop, sa démarche sera insulté à la radio par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères.
Certains diables ont été réhabilités. Tel est le cas des chefs de l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise qui pratiqua la lutte armée contre « l’occupant » britannique en Irlande du Nord, et la terreur vis-à-vis de ceux qui, dans le camp catholique, ne prenait fait et cause pour la lutte qu’elle menait.
Vous l’aurez compris, le livre de Régis Le Sommier, qui s’achève logiquement sur le cas Donald Trump, a l’immense mérite de réintroduire l’art de la nuance et de la mise en perspective à l’âge de la propagande généralisée et du manichéisme érigé en absolu. En ceci, son approche du diable est hautement salvatrice.
Régis Le Sommier, Qui est le diable, l’autre ou l’Occident ?, Max Milo, 236 p., 21,90 euros.