On juge aussi de la décadence d’un peuple à l’évolution qualitative de sa presse. Pour une génération de journalistes et de lecteurs qui aura eu 20 ans dans les dernières années du siècle passé, la figure de Philippe Tesson, comme celle de Jean-François Kahn à gauche, aura servi d’éveilleur. Philippe Tesson était un touche à tout, passionné de littérature et de théâtre (il avait racheté et dirigé le Poche Montparnasse). C’était surtout un éditorialiste né, un de ces maîtres artisans du journalisme capable presque lui seul de donner vie à un quotidien.
Héritier d’une tradition polémique née avec l’extension de la presse écrite au XIXe siècle, il est mort le mercredi 1er février à l’âge de 94 ans. Il était le père de l’écrivain Sylvain Tesson.
Philippe Tesson avait été à bonne école auprès d’Henri Smadja (1897-1974) à
Combat, quotidien iconoclaste
dont il sera le rédacteur en chef de 1960 à 1974. Anticonformiste, excellent prosateur, Philippe Tesson parvient à dompter un directeur dont il partageait l’indépendance d’esprit. En pleine guerre d’Algérie, ce journal d’opinions donne aussi bien la parole au royaliste Pierre Boutang, rénovateur du maurrasisme, qu’à Maurice Clavel, gauchiste transcendantal. L’antigaullisme y est de rigueur, mais jamais sectaire. Sans guère de moyens, ce journal servira de laboratoire au
Quotidien de Paris que Philippe Tesson lance en 1974 et qu’il dirigera jusqu’en 1994 avec une passion sans cesse renouvelée.
À partir de 1981 fidèle à une ligne libérale et anticommuniste, il en fait l’un des fers de lance de l’opposition à François Mitterrand. Incorrect à souhait, impertinent notoire, Philippe Tesson parie sur la culture et l’intelligence, donne sa chance à des jeunes plumes prometteuses comme le romancier Jérôme Leroy.
L’auteur de ces lignes conservera longtemps le souvenir poignant de l’hommage que Philippe Tesson avait rendu au romancier et cinéaste Pierre Schoendoerffer (1928-2012), passé à la postérité pour
Le Crabe tambour, dans un cinéma parisien sous l’égide de l’exigeant Patrick Buisson. Philippe Tesson et Pierre Schoendoerffer étaient nés la même année.
On peinera à trouver des successeurs à des plumes de cette trempe, si ce n’est celle toujours aiguisée de Franz-Olivier Giesbert avec qui ils partageaient une certaine vision du monde, fondée sur le sens de l’amitié et la liberté de ton.