La rencontre s’est tenue lundi 14 août et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle aura été agitée. Elle a duré plus de 10 heures. Le CPS (Conseil de Paix et Sécurité), l’organe décisionnel permanent de l’Union africaine (UA), a pris la décision d’exclure toute intervention militaire contre les putschistes de Niamey. Il a aussi suspendu temporairement le Niger de toutes les activités de l’UA. Ce CPS fonctionne comme le conseil de sécurité de l’ONU. Il comprend 15 membres et ses décisions doivent être prises à l’unanimité. La CEDEAO, elle, est un organisme économique un peu sur le modèle de l’Union européenne.
C’est un coup de tonnerre, car cette décision va à l’encontre de celle prise une semaine plus tôt par la CEDEAO et qui avait ordonné l’activation de sa force, tout en affirmant continuer à « privilégier le dialogue ». Cela fragilise d’un coup la CEDEAO, qui voit son existence même être mise en péril.
En effet, sans le soutien de l’Union africaine, une intervention militaire n’a aucune chance d’aboutir. L’état de fait qui prévaut à Niamey depuis le renversement du président Bazoum semble s’imposer et les putschistes marquent des points.
Déjà, la junte ne fléchit pas devant les sanctions économiques. Le retrait de l’aide de la France et celle de l’Europe sont pourtant conséquents, mais ces menaces ne semblent pas lui faire peur. En revanche, à mesure que la crise se prolonge, c’est l’unité des pays africains qui se fissure. Les institutions du continent sont ébranlées.
UA contre CEDEAO : l’Afrique se déchire
Au sein même de la CEDEAO, qui a déjà suspendu le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, trois pays qui ont été l’objet de putschs, les divergences éclatent au grand jour. Autrefois, en Sierra Leone ou en Gambie, il y avait unanimité pour soutenir ces opérations militaires.
Les raisons ? Certains dirigeants craignent les opinions publiques. Chaque pays voit la question nigérienne par rapport à sa situation propre. C’est le cas du Nigeria, qui est très divisé : son président Tinubu encourage à l’intervention, mais son Sénat l’a désavoué. Il fait également face à une crise politique interne et à des rumeurs de coups d’État, ce qui n’aide pas beaucoup. Sans compter que N’Djamena est aux abonnés absents… Comme l’Algérie, qui partage 1 000 kilomètres de frontières avec le Niger, et s’oppose fermement à toute opération militaire, le Tchad, autre voisin puissant, refuse de prendre parti.
Cependant, mardi 15, Mahamat Idriss Deby a été le premier président à recevoir le nouveau chef du gouvernement nigérien : une façon d’entériner sa nomination par les putschistes. Pourtant, après la première réunion de la CEDEAO le 30 juillet à Abuja, soit quatre jours après le putsch du 26 juillet, Mahamat Idriss Deby s’était rendu à Niamey en personne pour offrir une médiation.
On sait que le Tchad a souvent fourni des troupes aux côtés de Barkhane pour lutter contre les djihadistes, véritable défi sécuritaire dans la région. Le Tchad est même le seul pays de la zone capable de se projeter militairement hors de ses frontières. Il dispose donc d’un poids important, mais il n’est pas parvenu à raisonner les putschistes nigériens.
Les positions françaises compromises
Le problème avec lui, c’est qu’on peut se demander quel peut bien être le crédit d’un dirigeant lui-même mis au pouvoir à l’issue d’un putsch qui a conduit à l’assassinat de son père. Comme les chefs des juntes malienne, burkinabè et guinéenne, il s’était engagé à une transition vers un pouvoir civil et la tenue d’élections et n’a pas tenu sa promesse… Pas simple pour amener les auteurs d’un autre coup d’État à la raison.
Deby n’a en outre ni l’aura, ni la maitrise de l’art diplomatique de son père, feu Idriss Deby, mais il reste le plus solide appui de la France, un des rares qu’il nous reste dans la région…
Ce dernier épisode est une très mauvaise nouvelle pour la France. Il est difficile d’imaginer un maintien de la présence française au Niger avec la junte au pouvoir telle qu’elle apparaît aujourd’hui. Les putschistes du Niger accélèrent la désintégration de la CEDEAO, les Russes et les Chinois sont en embuscade.
Nous en avons pris l’habitude depuis que la fin de l’opération Sangaris en République de Centrafrique en 2016 a vu l’arrivée de la milice Wagner. Le coup d’État au Mali en août 2020 a montré qu’ils récoltent à chaque fois le fruit de nos déboires en Afrique. Mais ils ne sont pas les seuls. Les Américains ne verraient pas d’un mauvais œil le départ des Français, tant qu’eux-mêmes se maintiennent au Niger. Ils n’ont en fait aucune intention de quitter le pays et ont activé leur diplomatie pour parvenir à leurs fins. Au point qu’on peut désormais parler d’une nouvelle Guerre froide, dont la France ferait en quelque sorte les frais.
Russes, Chinois… et Américains en embuscade
Les USA disposent d’une base stratégique à Agadès, au Niger, pour la surveillance de la région. Elle leur a coûté plus de 100 millions de dollars et 1 100 hommes l’occupent. Les Américains n’ont jamais qualifié la prise de pouvoir du colonel Tchiani de « coup d’État ». Ils ont assuré également n’avoir aucune information qui indiquerait que les Russes y sont liés d’une quelconque façon, manière de ne pas disqualifier les putschistes en leur collant une étiquette de prorusse.
Ils ont dépêché sur place à Niamey la numéro deux du secrétariat d’État, Victoria Nuland. Elle n’a pas été reçue par les dirigeants du putsch, mais a tout de même rencontré le général Moussa Salaou Barmou. Longtemps courtisé par Washington comme partenaire contre l’extrémisme islamiste, il est devenu le principal canal diplomatique entre les Américains et la junte qui a pris le pouvoir au Niger. Il s’agit, sans le dire, d’une reconnaissance de facto de l’autorité des putschistes par Washington. Il ne faut pas non plus négliger qu’une grosse partie de l’armée nigérienne avait été formée non par les Français, mais par les Américains…
L’option militaire n’a pas totalement disparu. Un règlement diplomatique non plus : les Américains poussent dans cette direction. Pourtant, jeudi 17 août, à Accra au Ghana, une réunion de deux jours des chefs d’état-major de la CEDEAO se tiendra pour évoquer encore une fois la possibilité d’une intervention militaire au Niger… les mêmes résultats qu’auparavant sont-ils à anticiper ?