C’est à prendre ou à laisser. Vendredi dernier, Marco Rubio avait en quelque sorte vendu la mèche, en déclarant sur le tarmac de l’aéroport du Bourget en conclusion d’une visite décevante en France : « Nous devons déterminer dans les prochains jours si la paix est faisable ou non », et « si ce n’est pas possible, nous devons passer à autre chose, car les États-Unis ont d’autres priorités ».
D’autres priorités ? Il semblait jusqu’ici que pour Donald Trump, mettre un terme à la guerre en Ukraine arrivait très haut au rang de ses travaux d’Hercule. C’est aussi certainement une façon de mettre une nouvelle fois la pression sur les deux parties, mais surtout sur l’Ukraine. Si on regarde en effet en détail l’offre finale du président américain, on se rend compte qu’elle reste plus avantageuse pour la Russie que pour l’Ukraine. Ainsi, d’après le site américain Axios, dont les sources sont en général très fiables, Moscou obtiendrait la reconnaissance par les États-Unis de la Crimée comme territoire russe, ce qui signifie un changement radical de la posture américaine sur cette question depuis 2014. Celle des territoires ukrainiens conquis par la Russie, les quatre oblasts de Lougansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson, fait également partie du plan Trump. Y figure aussi l’assurance que l’Ukraine ne fera jamais partie de l’OTAN, que les sanctions appliquées à la Russie depuis 2014 seront levées. Bonus supplémentaire très dans la veine « business » chère à Trump : l’assurance que la Russie et les États-Unis coopéreront sur les questions énergétiques et industrielles.
Selon le même plan, l’Ukraine se voit attribuée des garanties de sécurité, assurées par une coalition de pays, à l’exception des États-Unis. La Russie serait contrainte de se retirer de certaines parties de l’oblast de Kharkov. L’Ukraine obtiendrait la liberté de naviguer et de commercer sur le Dniepr, et disposerait d’aides et de financements pour la reconstruction du pays. Enfin la centrale d’Energodar, dans l’oblast de Zaporijjia, la plus puissante d’Europe avec ses six réacteurs, actuellement occupée par la Russie, repasserait sous administration ukrainienne mais avec un management américain. Sa production énergétique serait alors partagée entre l’Ukraine et la Russie.
Les chances de voir ce plan accepté par les deux parties sont maigres. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio n’ira pas aujourd’hui à Londres où s’ouvre une réunion sur les négociations sur l’Ukraine. Il envoie Keith Kellogg à sa place. Kellogg était le premier négociateur de Trump sur l’Ukraine, avant d’être écarté. Cette décision montre que les États-Unis ne sont pas satisfaits des premières réactions de Kiev au plan Trump. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a déjà refusé catégoriquement la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée.
Si le plan échoue cependant, et si les États-Unis se désintéressent de l’Ukraine, il faut espérer que l’aide qu’ils apportent dans ce conflit ne va pas disparaître du jour au lendemain. L’implication américaine aux côtés des Ukrainiens est en effet ce qui leur permet de ternir. Aucun pays allié, ni même l’ensemble des Européens réunis, ne pourra venir combler le vide laissé par les Américains. L’affaire est délicate car même s’il n’y a pas de percée russe sur le front et que ceux-ci avancent toujours lentement, rien n’indique que les Russes ne déclenchent pas une nouvelle offensive dans les semaines qui viennent. Au vu des carences en hommes et en matériel de l’armée ukrainienne, celle-ci pourrait très bien se retrouver contrainte à l’avenir de devoir négocier encore avec les Russes, mais cette fois-là, dans une bien plus mauvaise posture. À ce moment, il n’est pas sûr que Trump ait envie encore de jouer les médiateurs…
Pour l’heure, à la suite de l’annonce de l’absence de Rubio, les chefs de la diplomatie du Royaume-Uni, de la France, de l’Ukraine et de l’Allemagne ont suspendu leur participation aux discussions de Londres sur la fin de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, a rapporté Sky News le 23 avril. Les USA vont donc jeter l’éponge et atteindre ainsi leur objectif initial caché : transférer la responsabilité de la défaite de cette guerre américaine aux dirigeants européens… Tel Ponce Pilate , Donald Trump pourra alors dire : « je m’en lave les mains »…