Vue de Hongrie : Vous avez dit miracle roumain ?

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En Hongrie, les cercles d’opposition aiment présenter la Roumanie comme un État modèle, presque comme un pays de Cocagne dans lequel les élites politiques seraient on ne peut plus fidèles à l’OTAN et à l’Union européenne. Tout fonctionnerait mieux en Roumanie qu’en Hongrie, la Roumanie serait en meilleure santé économique, les fonds européens y seraient mieux utilisés, les services publics en meilleure état. Bref, selon l’opposition hongroise, Viktor Orbán aurait réussi à relayer la Hongrie derrière la Roumanie d’un point de vue économique et social, certains leaders de l’opposition hongroise sont même allés jusqu’à affirmer que les Hongrois se rendaient en Roumanie pour y travailler, parce que les salaires y seraient plus élevés. Un miracle économique roumain ! Les libéraux de Budapest adorent la Roumanie, ce pays dans lequel la corruption poserait selon eux bien moins de problèmes qu’en Hongrie.

Mais alors pourquoi un tel résultat à l’occasion du 1er tour de l’élection présidentielle qui montre un rejet clair de l’establishment politique roumain de ces dernières années ? Le PSD et le PNL font l’objet d’une désapprobation massive et sont en cumulé à 28 %, quand les deux forces politiques anti-système sont-elles à 37 %. Elena Lasconi, représentante du parti libéral pro-européen allié à Emmanuel Macron au Parlement européen, enregistre un score de 19 %, et n’oublions pas que Madame Lasconi fait partie de l’aîle conservatrice de ce parti. Mais il faut bien dire que c’est uniquement ce parti qui représente la part de la population roumaine adhérant pleinement à l’agenda politique de l’UE. Ces électeurs vivent dans les principales villes du pays : Bucarest, Cluj-Napoca, Brașov et Timișoara.

Problème sociaux

L’on peut donc affirmer qu’une écrasante majorité des Roumains est en opposition plus ou moins radicale avec cet agenda politique de l’Union européenne. Ainsi, ils ne sont pas convaincus de la politique qui a été menée en Roumanie ces dernières années en coordination avec l’Union européenne et aurait soi-disant améliorer le sort du pays. La Roumanie est toujours le pays le plus pauvre de l’Union européenne : selon les méthodes d’Eurostat,  32 % des Roumains sont pauvres. À titre de comparaison,  ce chiffre est de 19,7 % en Hongrie, ce qui est par ailleurs un chiffre plus élevé que la moyenne de l’Union européenne et place la Hongrie à la 13e place. N’oublions pas qu’en 2010, quand Viktor Orbán est arrivé au pouvoir, la Hongrie était en 5e place à 30 %. Même constat en ce qui concerne le PIB par habitant ou le niveau de salaire : la Roumanie est bien derrière la Hongrie.

Cette situation catastrophique d’un point de vue social est seulement rattrapée par l’avance prise dans les villes mentionnées plus haut, et les régions à leurs alentours, où la candidate libérale a effectué ses plus gros scores. Et qu’en est-il de l’état des finances publiques ? Là aussi, la Roumanie montre des tendances problématiques et diamétralement opposées à celles que l’on peut constater en Hongrie. 

8 % de déficit cette année en Roumanie, 6,5 % l’année dernière, 6,4 % l’année précédente, 7,1 % en 2021, 9,2 % en 2020 et déjà 4,3 % en 2019. Même dans les plus mauvais moments, la Hongrie n’a pas connu les déficits que la Roumanie a connus au cours de chacune des cinq dernières années. En conséquence, la dette publique roumaine augmente rapidement : au cours des douze dernières années, elle est passée de 35,4 % à 48,9 %, elle dépassera 50 % cette année et atteindra 60 % en 2026. En d’autres termes, pour chaque point de pourcentage de croissance qui rapproche la Roumanie du PIB moyen par habitant de l’UE, elle doit faire face à une augmentation de 0,59 % de sa dette publique ; pour chaque point de pourcentage de rattrapage, la Hongrie réduit de 0,56 % sa dette publique en pourcentage du PIB. La Roumanie croît grâce à sa dette, tandis que la Hongrie croît en remboursant sa dette. La Roumanie consomme une énorme quantité de produits importés, et les Roumains de la diapora envoient de l’argent d’Europe occidentale vers leur pays natal, tandis que la Hongrie consomme autant de ses propres produits qu’elle en produit.

Cette différence entre la Hongrie et la Roumanie est d’autant plus étonnante qu’en 1990, au moment du changement de régime, la Roumanie était financièrement à l’équilibre, en raison de la politique budgétaire drastique menée par Ceaușescu. La Hongrie est elle sortie du communisme fortement endettée, et les horribles privatisations de la décennie 90 n’ont pas suffi à régler ce problème, et l’on peut dire que jusqu’à aujourd’hui la Hongrie paye cette politique de fort endettement de l’époque communiste, et la gestion catastrophique des socialistes libéraux qui s’en est suivie.

Et doit-on continuer avec des données encore plus tragiques ? En voici quelques-unes en guise d’exemples : la Roumanie a le taux de mortalité infantile le plus élevé de l’UE, la proportion la plus importante de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, l’espérance de vie la plus faible, le déclin démographique le plus important, le taux d’abandon scolaire le plus élevé et le plus grand nombre d’accidents de la route.

Un développement économique à l’avenir incertain

De surcroît, le fameux développement économique roumain est surtout permis par des investissements occidentaux dans le secteur IT, un secteur beaucoup plus volatile que les chaînes de production industrielle mises en place en Hongrie. En effet, un call center peut déménager du jour au lendemain, mais il est plus plus difficile de fermer une usine.

Cerise sur le gâteau : les libéraux de Budapest s’inquiètent de la percée des forces ultra-nationalistes en Roumanie, et ils ont sur ce point raison. L’évolution de la situation politique en Roumanie pose problème quant au respect des droits de la communauté hongroise vivant en Roumanie. Mais il est tout de même assez cocasse que ce soit ces libéraux de Budapest qui s’inquiètent du sort des Hongrois de Roumanie alors qu’ils ont montré depuis des années leur mépris pour cette question. Pour eux, il ne sagit d’ailleurs plutôt que de Roumains d’origine hongroise. 

Notons au passage que c’est la candidate libérale Lasconi qui s’est illustrée par des propos anti-hongrois, Georgescu n’ayant jusqu’à présent pas utilisé cette rhétorique anti-hongroise, ce qui bien sûr pourrait changer à l’avenir.

Ce résultat du premier tour de l’élection présidentielle roumaine a permis de montrer le vrai visage économique et social de la Roumanie, les Roumains ayant voté massivement pour les partis antisystème, y compris ceux de la diaspora vivant en Europe de l’Ouest. Contrairement aux libéraux de Budapest, les Roumains connaissent eux le véritable état de leur pays, et ces électeurs ont à n’en pas douter très de peu de considération pour cette clique pseudo-intellectuelle de la capitale hongroise. 

Yann Caspar*

  • *Chercheur au Centre d’études européennes du Mathias Corvinus Collegium de Budapest

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